Société

Harcèlement scolaire : comment les écoles font face ?

Le (cyber)harcèlement gangrène depuis longtemps les écoles, souvent démunies face au phénomène. Depuis 2023, un décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles amorce une politique structurée pour mieux prévenir et agir collectivement.

Publié le: 20 janvier 2025

Mis à jour le: 28 janvier 2025

Par: Soraya Soussi

7 min

Une jeune fille mange une tartine toute seule au fond d'un réfectoire.

Photo : ©AdobeStock - Le harcèlement ne commence que si des actions violentes sont délibérées, répétées, qu'elles causent du tort à une personne et que cette dernière se sent impuissante.

Julie a 14 ans. Cela fait deux ans qu'un groupe de sa classe se moque de son poids. À la maison, ce n'est pas mieux. Sur son compte Instagram, elle reçoit des vidéos insultantes, des messages à caractères sexuels et agressifs… Ses notes à l'école se sont dégradées. Elle s'isole et montre des signes de dépression. Mais Julie n'ose pas en parler.  

Damien, 16 ans, amuse sa classe en harcelant tous les jours Leila : blagues racistes, bousculades et insultes en ligne... Damien s'assure toujours d'avoir une audience. Certains rient avec lui et l'encouragent. D'autres assistent sans rien faire. Ce que personne ne sait, c'est que Damien se fait aussi harceler à la maison par ses deux frères. 

Le harcèlement en hausse ?

La presse a fait grand bruit ces dernières années du harcèlement à l'école au travers d’histoires tragiques et funestes. Ces récits glaçants questionnent la sécurité des enfants et des jeunes au sein des établissements scolaires. Fort heureusement, ces drames, qui recouvrent la partie émergée du phénomène, restent exceptionnels.  

Au regard des chiffres disponibles, ces comportements n'en sont pas moins inquiétants. Selon une enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), organisée par l'OCDE, un jeune sur trois de 15 ans est impliqué dans une affaire de harcèlement (qu'il soit harceleur, harcelé ou témoin). Une autre enquête de "Health Behaviour in School-aged CHildren" (HBSC), menée conjointement par l'ULB et le Service d'information promotion éducation santé (Sipes) auprès de 13.100 élèves de 5e et 6e primaires et du 1er, 2e et 3e degrés de secondaire, rapporte que 11,4 % d'entre eux ont été harcelés une ou deux fois au cours des deux mois précédant l’enquête. 

De là à parler d'augmentation d'un phénomène, les avis sont nuancés. Pour Simona Lastrego,  directrice du tout nouvel Observatoire du climat scolaire, les chiffres doivent être analysés avec prudence : les méthodologies et les constats diffèrent d’une enquête à l’autre.  

Autre source de préoccupation, avec l’émergence des réseaux sociaux et l'accès précoce aux smartphones (dès 10-12 ans, parfois plus tôt), le harcèlement dépasse désormais les frontières physiques de l’école. Le cyberharcèlement entre dans l'intimité du jeune, le laissant sans aucun espace sécurisant. Internet faisant caisse de résonance, il contribue à la médiatisation du phénomène.  

Comprendre un phénomène

Insulter, frapper, humilier, moquer, racketter… ne sont pas des comportements rares entre les murs de l’école. Pour identifier s'il y a harcèlement, il faut avant tout définir clairement le phénomène. Car aussi violentes soient ces actions, le harcèlement ne commence que si elles sont délibérées, répétées, qu'elles causent du tort à une personne et que cette dernière se sent impuissante. "L'enfant ou le jeune, cible de harcèlement, se retrouve dans un rapport de domination. Seul, il ne peut s'en sortir sans l'intervention d'un adulte. Cela ne sert donc à rien de demander à un élève de s’endurcir", précise la directrice de l'Observatoire du climat scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. 

Le harcèlement implique généralement un groupe. "La plupart du temps, le 'harceleur' va rechercher, grâce à une instrumentalisation du rire, à renforcer sa position dominante dans le groupe en agissant devant des témoins. Certains rallient le 'harceleur' (les 'suiveurs'), d’autres ne présentent pas de positionnement clair ('outsiders') ou ne voient rien, d’autres, enfin vont chercher à secourir la victime ('sauveurs'). Dans tous les cas, ceux qui n’agissent pas pour stopper le harcèlement renforcent celui-ci (1)."  
Le harcèlement peut aussi être provoqué par un adulte (enseignant, éducateur, etc.) envers un jeune.  

Pour les experts, il n'y a pas d'un côté une victime et de l'autre un agresseur, ni de profil type. En matière de harcèlement, on parle plutôt de "cible" et d'"acteur". "Le terme victime ou agresseur enferme la personne dans un statut. Or, la victime peut parfois être aussi l'agresseur et vice versa. On compte également les témoins de harcèlement qui sont concernés par le phénomène", précise Simona Lastrego de l’Observatoire.  

Quels facteurs favorisants ?

Le harcèlement ne naît pas seulement de l’interaction entre individus : il s’inscrit dans un environnement global. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à son émergence : 

  • L'environnement physique de l'école. Des couloirs trop étroits, une cour de récréation exiguë ou des toilettes insalubres peuvent créer des espaces propices aux agressions. 
  • L'environnement normatif. Des règlements injustes ou mal compris peuvent générer des tensions. 
  • L'environnement pédagogique. Des professionnels de l'éducation non soutenus par la direction, non formés et outillés ne permettront pas une gestion adéquate des cas de harcèlement. 
  • L'environnement relationnel. Un manque de respect ou de communication entre élèves, enseignants et parents aggrave les conflits. 
  • Sans oublier tout ce qui échappe au cadre scolaire : l'environnement à la maison (serein, non violent) et ce qui circule sur les réseaux sociaux. 

Agir ensemble contre le harcèlement

Le harcèlement à l'école et le cyberharcèlement peuvent être lourds de conséquences : dépression, isolement social, chute des résultats scolaires ou décrochage, baisse d'estime de soi, etc.  

Souvent, par peur de représailles ou de ne pas être pris au sérieux, les enfants agressés n'osent pas parler. Et si la parole se libère, encore faut-il que l'interlocuteur puisse agir de la manière la plus adéquate. De témoignages de professeurs ou direction relatent leur sentiment d’impuissance face à des comportements harcelants. Certains avouent ne pas être suffisamment outillés ou formés et ne préfèrent rien faire. D'autres commettent des erreurs, en confrontant directement la personne cible et la personne actrice du harcèlement, par exemple. 

À l'heure actuelle, il existe de nombreuses formations et outils pour appréhender le harcèlement en milieu scolaire ainsi que le cyberharcèlement, assurés par des écoles elles-mêmes ou des associations actives dans l'éducation et la pédagogie. Mais leur mise en œuvre a longtemps reposé sur la bonne volonté des directions.  

La médiatisation du phénomène, le travail de lobby des associations de terrain et de certaines écoles ont eu raison d'une ignorance politique. Afin d'objectiver l'ampleur du phénomène, de poser un cadre clair et lutter contre le (cyber)harcèlement scolaire de manière structurelle en Belgique francophone, la Fédération Wallonie-Bruxelles a (enfin) adopté en 2023, un décret "climat scolaire" et a créé l'Observatoire du climat scolaire. Ses missions : encadrer la lutte contre le harcèlement, centraliser les données et fournir des outils et espaces de rencontres aux écoles et professionnels de l'éducation. 

Des actions concrètes en 2024

Depuis la rentrée scolaire 2024, les écoles sont tenues de mettre en place une procédure de signalement claire et accessible, inscrite dans leur règlement intérieur. "Les écoles ne doivent pas tout gérer seules, mais elles doivent être capables de rediriger les cas vers des structures compétentes", précise Simona Lastrego.  

Depuis le mois d'août, les écoles ont aussi la possibilité de postuler au programme-cadre de l'Observatoire afin de bénéficier des formations, outils et autres dispositifs. 338 écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles ont déjà été sélectionnées pour suivre ce programme. À terme, l’objectif est de rendre toutes les écoles de la Belgique francophone autonomes dans la gestion de ces situations.  

Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement restent des défis majeurs pour les écoles. Car il ne concerne pas seulement des enjeux interpersonnels. Ce sont des phénomènes sociétaux. Il est donc indispensable de penser en termes de climat scolaire global et activer des leviers collectifs.