Soins de santé
Les troubles "dys" (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie et compagnie) font de plus en plus parler d'eux. Pourquoi semblent-ils toucher davantage d'élèves qu'avant ? Et comment peut-on adapter les méthodes d'enseignement pour ces enfants, tout en évitant de les stigmatiser ?
Publié le: 14 septembre 2022
Par: Aurelia Jane Lee
8 min
Photo: © AdobeStock
Les difficultés d'apprentissage scolaire sont-elles de plus en plus répandues ? Selon Martine Poncelet, professeure de psychologie et de neuropsychologie du langage (ULiège), "il n'y a pas d'augmentation, mais elles sont à la fois mieux détectées et plus visibles du fait qu'on intègre les enfants porteurs de ces troubles dans les classes normales." De plus, les outils de diagnostic ont évolué et les techniques d'imagerie cérébrale ont permis une meilleure compréhension du phénomène. Les parents et les enseignants sont aussi plus attentifs et s'interrogent plus rapidement dès qu'ils constatent une difficulté pour l'enfant.
Les troubles "dys" sont "des difficultés qu'ont les enfants dans certains domaines de la cognition (c'est-à-dire du traitement de l'information) qui les empêchent d'être complètement adaptés par rapport aux exigences scolaires." Apparaissant au cours du développement de l'enfant et persistant à l'âge adulte, ils portent sur différentes fonctions cognitives et peuvent éventuellement se cumuler (voir l'encadré "Petit (dys)lexique"). Ils sont sans lien avec le niveau intellectuel, qui peut être élevé et aide alors justement à compenser les difficultés. "Mais l’importance accordée par l’école à certaines matières peut amplifier l’impact de ces difficultés cognitives spécifiques sur la réussite scolaire de l’enfant, précise Martine Poncelet. Les troubles dys se définissent par rapport à ce qui est attendu au niveau scolaire. Or, nous avons chacun nos forces ou nos faiblesses dans certains domaines. Dans un groupe donné, il y aura toujours des très forts, des très faibles, et une grosse majorité au milieu. Si à l'école, il fallait être très doué en dessin (ou en musique, ou en langues étrangères…) plutôt qu'en calcul ou en français, on peut imaginer qu'un nombre de 'bons' élèves deviendraient de 'mauvais' élèves et vice versa", relativise la psychologue.
Pas plus fréquents donc, les troubles dys sont néanmoins une réalité. "On sait maintenant que certains enfants ont effectivement des particularités au niveau du fonctionnement cognitif, et même plus généralement, au niveau du fonctionnement cérébral. Si on étudie le cerveau de ces enfants avec des techniques d'imagerie, on constate des différences morphologiques ainsi que des différences de fonctionnement cérébral."
Les régions temporales gauches, associées au langage, apparaissent légèrement moins développées chez certains dyslexiques, par exemple. On observe chez ces enfants une "absence d'asymétrie", dans le sens où la partie gauche est généralement plus développée que la droite, alors que chez les dyslexiques elle tend à être semblable. Dans certains cas, cette asymétrie est même inversée, avec un lobe temporal droit plus développé que le gauche. "Mais ce n'est pas le cas chez tous les dyslexiques. De plus, certains enfants non dyslexiques peuvent également avoir cette particularité. Il faut donc toujours relativiser."
Outre ces particularités morphologiques, on constate des différences au niveau du fonctionnement cérébral des enfants dyslexiques durant la lecture : "Quand ils sont en train de lire, même s'ils lisent correctement, les dyslexiques activent moins certaines régions", commente Martine Poncelet. Des études ont aussi été menées chez des adultes dyslexiques, ayant acquis un niveau correct de lecture mais suivant un fonctionnement différent. "On constate que certaines régions dans l'hémisphère droit sont plus activées chez ces adultes dyslexiques que chez les lecteurs 'normaux'. On peut en déduire que c'est une sorte de compensation qui se met en place."
Ces différences au niveau de la morphologie et du fonctionnement cérébral pourraient-elles être seulement un effet, et non la cause, du trouble de l'apprentissage ? "On sait que ce type de trouble a une origine génétique et est donc en partie héréditaire. Des études menées auprès d'enfants n'ayant pas encore appris à lire et issus de familles de dyslexiques (et donc susceptibles de le devenir également) ont mis en évidence une moindre densité de substance grise dans les régions temporales et une activation plus faible de ces régions lorsque les enfants étaient confrontés à des tâches requérant le traitement de sons du langage. Comme ces études ont été réalisées chez des enfants prélecteurs, les particularités mises en évidence ne peuvent pas être la conséquence d’un moins bon développement de la lecture."
Il y a toujours eu des enfants moins adaptés au système scolaire. "Auparavant, on avait tendance à réorienter ces élèves vers l'enseignement spécial, dès lors qu'ils ne parvenaient pas à suivre en classe sans une aide particulière", rappelle la psychologue. L'instauration d'une politique d'intégration des enfants en difficulté a rendu plus visible leur différence… et leur souffrance.
Dans le cadre du "Décret inclusion", la Fédération Wallonie-Bruxelles impose aux écoles, depuis la rentrée scolaire de 2018, la mise en place d’aménagements raisonnables pour les élèves à besoins spécifiques. "L'intérêt de ces aménagements est qu'ils sont obligatoires, souligne Martine Poncelet. À partir du moment où l'enfant a reçu un diagnostic et où l'aménagement a été prescrit par un spécialiste, l'enseignant doit en tenir compte. Cela permet de conscientiser les enseignants par rapport à l’existence réelle de ce type de trouble et par rapport à leurs responsabilités à l’égard des enfants qui en souffrent."
Des aménagements très concrets peuvent être mis en place. L'enseignant peut laisser plus de temps à ces enfants pour compléter leurs évaluations. Pour les dyslexiques, il est recommandé de photocopier le cours uniquement en recto, parfois dans un caractère d'imprimerie particulier. "Nous ne disposons pas de données d'études qui permettraient d'affirmer que les enfants qui bénéficient de ce type de mesures s'en sortent mieux. C'est trop tôt pour le savoir, mais on peut imaginer que le fait de se trouver avec les autres élèves pousse les enfants dys à mieux apprendre", avance la spécialiste.
Les bénéfices sont aussi psychologiques. "Si les aménagements marchent, c'est surtout parce que l'enfant se sent encadré, estime Martine Poncelet. Il n'est plus seul, il sait qu'on connait sa difficulté et que l'école est là pour l'aider comme tous les autres enfants." A contrario, la mise en place d'aménagements peut avoir un effet stigmatisant. "Certains enfants ont un diagnostic mais ne demandent pas d'aménagements parce qu'ils n'ont pas envie que tout le monde sache."
Pour éviter cela, Martine Poncelet suggère que l'inclusion aille au-delà de la mise en place d'aménagements spécifiques : "Ce qui aide l'enfant dys aide aussi potentiellement les autres élèves. Tout enseignant a intérêt à présenter des cours bien structurés, à s'exprimer dans un langage clair, à expliquer la matière le plus simplement possible, à se répéter. Au niveau des apprentissages, il est démontré que ce qui fonctionne, c'est la répétition : l'enfant n'apprend pas de façon instantanée."
L'enseignant joue un rôle primordial dans la façon dont l'enfant va vivre plus ou moins bien son trouble, insiste la psychologue. "Pas seulement selon la manière dont il va enseigner, mais aussi selon la façon dont il va le considérer et le renforcer. Car ces enfants-là travaillent souvent énormément, sans pour autant obtenir des notes satisfaisantes, et peuvent être extrêmement découragés. Du coup, ils se dévalorisent. On peut arriver à un stade où, que l'enfant travaille ou pas, le résultat est le même. Il est très important que les enseignants puissent donner à l'enfant le moyen de réussir des tâches. Sans non plus trop lui faciliter le travail : si on lui demande des choses trop simples, il s'en rend bien compte ! Il faut lui donner des défis qui sont à sa portée, qui nécessitent des efforts mais qu'il est capable de réussir. Il est vraiment du ressort des enseignants d'encourager ces enfants-là."
L'Association belge de Parents et Professionnels pour les Enfants en Difficulté d’Apprentissage (Apeda) offre conseils, outils et écoute aux familles confrontées aux troubles dys.
apeda.be • [email protected] • 0492/75.19.83 (les mardis et jeudis entre 9h30 et 11h30)
Retrouvez également sur cette page du site de la MC, des vidéos-témoignages, des conseils et infos sur les events organisés sur cette thématique conférence, pièce de théâtre…
Liste non exhaustive des troubles de l'apprentissage les plus courants :
Quel est le point commun entre Léonard de Vinci, Steven Spielberg et Jamie Oliver ? Ces personnalités ont en commun d’être dys, d’avoir trouvé des astuces pour contourner leurs difficultés et développé des talents pour réaliser leurs rêves.
Le livre "Dys & célèbres" présente les portraits illustrés de 24 personnalités qui se sont accomplies dans des domaines variés... L’autrice de BD Florence Cestac ne parvient pas à mettre des mots sur ses souvenirs, mais elle les dessine avec un réalisme qui lui a valu d’être récompensée à Angoulême. Pour compenser ses difficultés, Whoopi Golberg a développé une mémoire qui l’aide dans son métier d’actrice. "La dyslexie m’a appris à ne pas accorder d’importance aux gens qui me disent tu ne peux pas faire ça", confie pour sa part Richard Roger, l’architecte du Centre Pompidou à Paris.
Ce livre optimiste n’édulcore pas les difficultés pour autant. "C’est aussi une souffrance, une source d’ennuis et d’injustices pour beaucoup d’enfant et d’adultes, rappelle Thomas Legrand, journaliste dyslexique, en préface. Chaque dyslexique cherche un chemin, parfois tortueux pour trouver sa voie. Mais ce sont souvent ces détours qui nous font voir les choses autrement."
// SW
"Dys & Célèbres" • Guillemette Faure / Mikankey • Casterman • 2022 • 64 p. • 13,95 €