Inclusion

La danse, ce n’est pas (que) le pied !

Certains dansent avec leurs pieds. D’autres avec leurs roues. La danse inclusive est ouverte à toutes et tous, peu importe la condition physique ou mentale. Objectif : danser en partageant avec l’autre, mais aussi avec soi-même, en rompant les normes imposées d’un art ancestral.


 

Publié le: 18 février 2020

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Soraya Soussi

6 min

Salle de danse personnes en fauteuils roulants

Photo : : ©SorayaSoussi

Ils sautent, roulent, balancent la tête, se prennent la main, se regardent, s’ignorent, virevoltent, manipulent le fauteuil… "Les chaises, vous ne bougez pas assez !", débriefe Florent, professeur de danse, après un exercice improvisé. Florent donne cours de danse inclusive à l'école Carine Granson à Marche-en-Famenne. Ce type de danse mélange des personnes valides et des personnes porteuses d’un handicap. Ici, peu importe le type de handicap (physique et/ou mental) ou qu’on soit valide ou non d’ailleurs. "L’essentiel, c’est ce que le danseur transmet par ses mouvements. C’est le reflet de son âme et de ses émotions qui m’intéresse", décrit Florent. 

Elégance d’une chaise

Florent a 34 ans. À 17 ans, alors qu’il était apprenti couvreur, il fait une chute de plusieurs mètres. Résultat : il se retrouve à devoir apprendre une autre vie… en chaise roulante. "Avant mon accident, je dansais comme tout le monde en soirée. Mais après celui-ci, je ne pouvais plus faire ce petit pas de côté (le pas chassé) que je faisais. J’ai donc dû réinventer ma propre danse. J’ai décidé de m’inscrire dans une école de danse. Arrivé sur place, je leur ai demandé : 'Apprenez-moi à danser'. " Le jeune homme débute avec le break dance. Seul élève en chaise roulante de la classe, il apprend les appuis au sol avec son fauteuil. Puis, il se lance dans la danse classique. "Là, ça été un vrai bordel ! C’était vraiment compliqué car cette discipline demande de faire appel à de nombreuses techniques 'inadaptées' à ma situation. Mais le classique m’a appris à identifier les façons de me tenir dans ma chaise pour danser et donner une certaine élégance à celle-ci." 

Suite à sa formation de danseur, Florent a participé à de nombreux concours et projets artistiques. Il a également été finaliste de l’émission télévisée française "La France a un incroyable talent" et a co-fondé l’asbl UniVers Danse avec deux autres danseurs. Une école qui organise des cours de danse inclusive et adaptée (exclusivement pour personnes porteuses d’un handicap). Car pour lui, la danse est accessible à toutes et tous. "C’est quelque chose d’instinctif." Dans le cours de Florent, aucune technique n’est pré-requise. C’est la création collective qui est encouragée. Permettre à chacun d’exprimer ses singularités grâce à l’échange avec l’autre. 

De la singularité à la création collective

La créativité des danseurs est sans limite. Et elle est au cœur de ce type de danse. "Mes élèves sont des artistes car ils créent en permanence à partir d’eux-mêmes, de leur corps, de leur ressenti. Vous ne verrez jamais deux fois la même prestation." Mais cela demande un travail et une méthodologie spécifiques : "Ils ne reproduisent pas quelque chose à partir de moi, de pas que je leur enseignerais. Je ne fais que parler. Ils créent tout à partir de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils voient et réagissent en conséquence. Le jeu est un élément-clé dans la création."

C’est auprès du danseur, chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban que Florent a trouvé sa méthodologie d’enseignement : "Comme lui, j’utilise une série de verbes d’action et des dynamiques de mouvement pour faire entrer les danseurs en interaction. Exemple : lancer une balle lentement à un endroit bien précis. Et j’observe comment ils vont procéder. Quelle dynamique ils vont appliquer." 

 

Cette création née à partir du danseur impose un travail et un questionnement sur soi. "Nous vivons dans une société codifiée où l’individu est déconnecté de lui-même", analyse Florent. Dès lors, il est parfois indispensable de faire appel à certaines techniques pour faire ressortir ce qui est enfoui en nous. Cas concret : Julie, l’une des élèves, est en colère contre elle-même, ne sachant pas comment répondre aux objectifs qu’elle s’impose pour suivre les indications du professeur. Florent lui rappelle de rompre avec cette notion d’objectif à atteindre pour laisser place au lâcher-prise. "Le plus dur pour eux, c’est de leur demander d’être artiste du début à la fin. Cela pose des questions : pourquoi fait-on ce mouvement, pourquoi pense-t-on à ça ? Quelle image voit-on ? On va assurément ressentir des choses qui nous touchent. Et cela peut être parfois contraignant. Parfois, on va déterrer des choses qu’il ne fallait pas. On peut être désarçonné. Ne pas savoir quoi faire avec ce sentiment. Et c’est justement là que c’est beau. C’est quand on déterre quelque chose qu’il ne fallait pas déterrer et qu’on travaille avec cela, qu’on le traverse, qu’on prend l’émotion qui en découle et qu’on danse avec elle.”
Le défi est alors double, car le danseur doit à la fois gérer les émotions qui ressortent de manière spontanée - puisqu’il est en interaction avec d’autres - et à la fois maintenir le contact et l’échange avec les partenaires. Une chorégraphie où le corps est en apparence plus simple à manipuler pour les uns, tandis que les autres excellent dans l’art de transmettre les émotions.