Droits du patient
Décloisonner les lieux de vie entre personnes "valides" et en situation de handicap. C’est le concept du logement inclusif, qui se développe sous de multiples visages. À la clé, autonomie malgré le handicap, entraide, convivialité et enrichissement pour tous. Reportage.
Publié le: 28 octobre 2024
Par: Barbara Delbrouck
6 min
Photo: Frédéric Raevens // Pierre, Apolline et Nabil vivent en colocation au sein de Riga, un habitat groupé solidaire et inclusif.
Nassim, 34 ans, nous accueille chez lui dans un clos niché dans Jette. Une maison neuve qu'il a fait construire, pour qu'elle soit adaptée à ses besoins. Atteint d’une myopathie qui attaque ses muscles, Nassim se déplace en fauteuil roulant depuis ses 12 ans et ne peut plus compter que sur ses mains pour se débrouiller. Il a donc veillé à ce que les portes de sa maison s'ouvrent automatiquement, que les interrupteurs soient placés à hauteur accessible... Ses espaces personnels (chambre, salle de bain, bureau) sont situés au rez-de-chaussée. D'un côté, il a accès à un grand jardin et de l'autre, à la salle à manger, qu'il partage avec ses trois colocataires. Logés à l’étage, ceux-ci bénéficient d'un loyer accessible, en contrepartie d'une petite aide à Nassim pour les gestes du quotidien : préparer ses repas, un sac à dos s'il part en déplacement, lui donner un coup de main pour se mettre au lit… Pour les soins, des infirmiers viennent deux fois par jour. Une formule qui lui permet de vivre de manière autonome et abordable malgré son lourd handicap.
Nassim a découvert la "colocation inclusive" lors de ses études à Louvain-La-Neuve où il a vécu deux ans dans un "Kot service". Dans ces kots de l'UCL, 8 étudiants "valides" cohabitent avec une personne en situation de handicap. "C'était comme un kot à projet, mais en moins intense" se souvient Raphaëlle, ancienne "cokoteuse" et colocataire de Nassim à Bruxelles depuis 4 ans. "Notre rôle était juste d'aménager un peu nos habitudes pour que Nassim soit inclus. En observant mes cokoteurs qui vivaient déjà avec lui depuis un an, j’ai acquis peu à peu des automatismes... Bouger la table quand elle lui bloquait le passage, lui faire coucou de temps en temps pour voir s'il n'avait besoin de rien, laisser le nécessaire à portée..." Cette année-là, Raphaëlle estime avoir plus appris qu’aidé. "En tant que personne 'chanceuse', je n'avais jamais fait l'expérience de la vie des personnes à mobilité réduite. Tu prends vite conscience que rien n'est adapté. Et tu t’interroges : comment ces personnes font-elles pour surmonter tous ces obstacles ? Aussi bien physiquement que psychologiquement ? Au final, je me suis rendu compte à quel point j'étais mille fois moins autonome que Nassim ! Ce gars se débrouillait bien mieux dans la vie que moi grâce à toutes les facultés que la maladie l'a poussé à développer pour rester indépendant et autonome."
Changement de décor, à Schaerbeek face au parc du Hamoir. Pierre, Apolline et Nabil, âgés d’environ 25 ans, nous ouvrent les portes de leur appartement à l'occasion de leur souper de coloc hebdomadaire. Tous trois sont porteurs d'un handicap mais leurs différences les rendent complémentaires. Pierre et Apolline ont des problèmes de mobilité, tandis que Nabil souffre de troubles autistiques légers. Cette semaine, c'était au tour de Pierre de se mettre aux fourneaux. Comme chaque lundi, une aide familiale est venue à midi pour aider à préparer le repas du soir. Après avoir vécu longtemps dans une école en internat, en communauté avec d'autres personnes en situation de handicap, l'idée de la coloc a tout de suite plu aux trois jeunes. "J'avais envie de prendre mon indépendance, par rapport à mes parents. Mais je pense que j'aurais déprimé tout seul dans un studio", confie Pierre. La coloc est installée dans l'un des 27 appartements du projet "Riga", un habitat groupé solidaire et inclusif. Dans l’immeuble vivent à la fois des personnes en situation de handicap — qui bénéficient d’un appartement adapté — et des locataires "valides" recrutés via l'agence immobilière sociale de Schaerbeek. À la clé, une communauté d'habitants assez multiculturelle et intergénérationnelle. Sur place tous les jours, une équipe d’éducateurs fournit de l’aide à la vie journalière à ceux qui en ont besoin et soutient les habitants dans la dynamique de l’habitat groupé, notamment l’organisation d’activités collectives. "Ça m'aide de pouvoir faire appel au bureau Riga, pour du soutien dans mes démarches administratives, témoigne Nabil. Je profite aussi des activités organisées, ça me pousse à faire autre chose que passer mon temps sur les écrans."
Benoit Gérard, directeur de Riga
Dans le bâtiment, chacun vit dans son appartement, mais l’ambiance s’apparente à celle d’une colocation inclusive à grande échelle : une salle communautaire permet aux habitants de se rassembler. Les enfants jouent librement dans l'immeuble, parfois ils improvisent des courses en chaise roulante... Dans le hall, un panneau intitulé "L’entraide à Riga" permet à chacun d’indiquer ce dont il a besoin ou ce qu’il peut offrir comme coup de main : courses, babysitting, aide aux devoirs, aux trajets, à la cuisine... Grâce à un groupe WhatsApp, les habitants de l’immeuble communiquent facilement au quotidien. "Il y a une ambiance familiale, se réjouit Habiba, habitante et maman de deux petites filles. On se sent en sécurité, on se parle, on s’entraide... Il y a plus de liens comme avant ! Il faudrait reproduire cela partout ailleurs."
Dans le hall, un autre panneau indique les activités au programme : ateliers cuisine, yoga, chorale, soirée cinéma, sortie à Planckendael… Le projet est ouvert sur le quartier : beaucoup de voisins participent aux activités ou utilisent les locaux de Riga. "On essaie de créer des occasions pour les habitants d'entrer en relation, explique Benoit Gérard, directeur. Parce que finalement l'inclusion passe aussi par là. Avoir sa place dans les relations sociales, prendre un café ensemble et papoter c'est déjà de l'inclusion ! À force de se rencontrer, on finit par banaliser le handicap."
Une société plus inclusive et solidaire passerait-elle par le développement de ces structures ? "Il y a une volonté des autorités politiques de les développer mais les fonds publics manquent pour les projets de grande ampleur, assez coûteux", souligne Élodie Cattoor, directrice de Jangada, un autre projet de logement inclusif soutenu par la Cocof et installé à Woluwé sur le site de l'UCL. Du côté de Riga, on s’est tourné vers un partenariat public-privé, où les travaux sont à charge du propriétaire, pour réduire les coûts. En parallèle de ces projets immobiliers ambitieux, des initiatives à plus petite échelle se développent : des maisons ou appartements où des personnes avec un handicap vivent en colocation, soutenus par une équipe d'éducateurs et en ouverture sur le quartier. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour combler les besoins. De nouveaux types de logement sont à inventer et à développer, afin de donner du choix aux personnes en situation de handicap, autre que la vie en institution ou chez les parents. Et faire tomber les murs…
En savoir plus sur le logement inclusif
> 2 brochures de référence
La Fondation Roi Baudouin a publié 2 brochures sur les étapes pour trouver ou créer son logement inclusif.
> Quelques structures, à Bruxelles et en Wallonie.
- Logements ou collocations entre personnes en situation de handicap (physique ou psychique), avec équipes de soutien et ouverture sur le quartier : Fondation Portray, Pilotis, Tropiques, Montagne-Saint-Job, Alodgi, les initiatives d'habitations protégées (patients psychiatriques), etc.
- Des habitats groupés inclusifs, où personnes valides et moins valides vivent chacun chez soi mais en communauté : Riga, Jangada, etc
> Annonces et carte des habitats groupés solidaires
www.habitat-groupe.be/type-habitat/habitat-groupe/
> Kots services et logements adaptés à l'université
*UCL : uclouvain.be/fr/etudier/aide/aide-au-quotidien.html
En cas de handicap, vous pouvez obtenir le statut PEPS, qui donne accès à de nombreuses aides.
*ULB : www.ulb.be/fr/plans-et-acces/accessibilite-pour-tous