Soins de santé
Contrairement aux idées reçues, la grande majorité (80 %) des handicaps sont invisibles. Maladies chroniques invalidantes, troubles mentaux, psychiques ou cognitifs et handicaps sensoriels ne sont pas toujours associés à des stigmates apparents. Ils sont pourtant bien présents dans le quotidien des personnes qui doivent vivre "avec".
Publié le: 15 décembre 2022
Par: Sandrine Cosentino
6 min
Photographie: ©AdobeStock
"Madame Rosalie refuse de venir aux fêtes d'anniversaire et aux goûters organisés par les voisins de son quartier. D'ailleurs, personne autour d'elle ne peut dire l'avoir déjà vue manger quelque chose. Parfois, elle s'énerve pour un rien et tombe bien vite dans l'agressivité. Elle doit certainement être difficile à vivre ! Quel est le handicap de Madame Rosalie ?" Cet exemple est tiré du jeu de cartes "Les Hinvisibles", conçu par l'éditeur français d'outils pédagogiques et ludiques Keski pour sensibiliser aux handicaps invisibles. "Je reconnais le comportement d'un proche, il est diabétique", s'exclame un des joueurs. Réponse exacte, révèlent les explications au revers de la carte : le diabète a en effet une influence sur le comportement des personnes qui en souffrent. Le régime à suivre est parfois tellement strict qu'il peut aussi perturber les relations sociales.
Le mot "invisible" est-il approprié pour parler de ces handicaps sans stigmates extérieurs ? "J'utilisais souvent le terme 'invisible' pour expliquer mon handicap aux autres personnes, car c'est ce qu'il y a de plus simple : je suis debout, j'ai l'air comme vous, mais je suis bien une personne porteuse d'un handicap, témoigne Justine Pecquet, atteinte d'une myopathie des ceintures (maladie héréditaire neuromusculaire peu connue – écouter le podcast Inspirations). Je l'utilise de moins en moins parce que si une personne veut faire attention, elle verra tout de suite qu'en marchant je titube, je boîte, je grimace quand je dois me relever ou m'asseoir. Le handicap est invisible de prime abord, mais si on y fait un peu attention, je pense que tous les handicaps deviennent à un moment visibles."
"La façon dont certains films ont médiatisé l'autisme donne une certaine image de ce trouble, alors que le spectre de l'autisme est très large", commente une autre participante au jeu Les Hinvisibles. La carte Quiz sur l'autisme suscite des réactions : être autiste, est-ce avoir du mal à exprimer des choses aussi banales que "j'ai faim", "j'ai peur" ou "je suis fatigué" ? Certains participants n'imaginaient pas que ce trouble pouvait aussi se manifester de cette manière. Pour mieux comprendre les impacts d'un handicap et limiter les jugements hâtifs, il est indispensable d'être informé sur la pathologie.
Les préjugés constituent le premier frein à une pleine inclusion et peuvent rapidement isoler une personne souffrant d’un handicap, même si celui-ci n’est pas visible au premier abord. "Je nous considère comme des fantômes de la société", témoigne Mohamed El Hendouz, président-coordinateur de l'asbl Handijob'project, lui-même handipreneur. L'association propose un service d'accompagnement aux personnes en situation de handicap qui souhaitent créer leur entreprise (voir encadré sur le projet). "Les handicaps dits invisibles sont très mal reconnus et ceux qui en souffrent sont peu entendus dans leurs difficultés. Nos relations amicales, amoureuses ou professionnelles sont souvent impactées. Nous recevons très rapidement l'étiquette d'une personne qui 'fait semblant de'… Nous sommes alors rejetés et isolés."
Obtenir une reconnaissance officielle d'un handicap invisible peut parfois devenir un parcours du combattant, assure Mohamed El Hendouz. "Sans cette reconnaissance, nous ne pouvons pas bénéficier d'aides financières, matérielles ou d'aménagements raisonnables. Cela nous empêche d'être autonomes au quotidien."
Ce jeu est un outil pédagogique de sensibilisation au handicap invisible. Il est composé de 50 cartes : 12 cartes "énigme" invitant à identifier le trouble ou la maladie invalidante d’une personne à partir d’un témoignage ; 26 cartes "quiz" pour enrichir ses connaissances et découvrir les impacts des différentes situations de handicap ; 10 cartes "attitudes" pour faciliter la réflexion et l’appropriation des comportements adaptés dans la relation.
La rédaction d'En Marche l'a testé pour vous. Il crée le débat et est instructif même si parfois, certaines informations ne nous ont pas semblées assez détaillées ou inadaptées au contexte belge (le jeu est Français). Il permet d'avoir une vision plus large des difficultés liées aux handicaps invisibles.
"J'ai longtemps caché mon handicap, confie Mohamed El Hendouz. Je suis bossu, mais j'ai également des troubles neuropathiques provoquant des symptômes semblables à ceux de la sclérose en plaque. J'ose aujourd'hui en parler, mais avant, je pensais que les gens ne comprendraient rien et qu'ils prendraient peur."
Les personnes porteuses d'un handicap invisible se trouvent face à un dilemme : le rendre plus visible et affronter le jugement des autres ou préserver leur intimité, mais ne pas être reconnues dans leurs besoins et leurs droits. Le parcours de vie d'une personne, le soutien de l'entourage et le niveau de confiance en soi sont trois facteurs qui influencent le choix de divulguer ou non le handicap.
Tant le citoyen lambda, pas forcément familier avec le monde du handicap, que l'entourage et le milieu médical portent une part de responsabilité dans la perception du handicap. Plus de bienveillance et d'écoute permettront certainement de libérer la parole.
La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, entrée en vigueur en Belgique en 2009, définit les personnes porteuses d'un handicap comme présentant "des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres". Cette définition très large permet d'englober tous les types de handicaps. Les pays signataires de la convention se sont engagés à respecter son contenu et notamment à prendre toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées. "Il reste un long chemin à parcourir pour que les personnes en situation de handicap aient une véritable place dans une société inclusive. Il est temps que les autorités tiennent leurs promesses", souligne Patrick Charlier, directeur d’Unia, dans le rapport 2021 sur le respect des droits des personnes handicapées. Dans ce même rapport, Unia, service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l'égalité des chances, rappelle que 80 % des handicaps sont invisibles et insiste sur la nécessité de prendre des mesures pour modifier cette image tronquée du handicap au sein de la société.
Quelles sont les démarches à accomplir pour créer une entreprise lorsqu'on est une personne en situation de handicap ? Ce n'est pas si simple de s'y retrouver pour obtenir des crédits bancaires ou des aménagements raisonnables, bénéficier de formations adaptées et éviter les pièges à l'emploi. En 2015, Mohamed El Hendouz décide de proposer un service d'accompagnement afin que les personnes qui le souhaitent puissent reprendre une activité professionnelle adaptée à leur situation. "Certaines personnes voulaient créer leur entreprise, mais il y avait une série de freins à la concrétisation de leur projet. J'étais bien au courant de ces réalités, étant moi-même dans le cas. J'ai alors créé l'asbl Handijob'project dans le but de soutenir, accompagner, promouvoir et défendre les intérêts des personnes en situation de handicap afin de créer leur entreprise. J'aide également les handipreneurs déjà en activité."
Plus d'infos : handijobproject.be • 0472 91 46 89 • du lundi au vendredi de 13h à 18h
Justine est atteinte d'une maladie héréditaire, un handicap presqu'invisible. À la maison, le sujet était tabou. C'est à l'âge adulte que Justine commence à s'intéresser à sa pathologie pour mieux respecter son corps et ses besoins. Son parcours scolaire et ses débuts dans le monde professionnel ont été difficiles. Elle nous raconte pourquoi.