Inclusion

Vote : au-delà de l'accessibilité physique…

Pour des élections "accessibles à tous", l'accès physique à l'isoloir n'est pas le seul défi. La compréhension des programmes et enjeux électoraux par tous est également cruciale.

Publié le: 10 avril 2024

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Barbara Delbrouck

6 min

Personne qui vote

Photo: Les personnes atteintes d'une déficience intellectuelle ou de troubles psychiques sont souvent absentes des bureaux de vote… - © AdobeStock

Jargon politique, programmes longs et compliqués, système électoral complexe… De nombreux citoyens se sentent dépassés et peu outillés pour faire leur choix lors des élections. Un sentiment particulièrement présent chez les personnes en situation de handicap ou de maladie de longue durée. Selon un sondage réalisé par Altéo auprès de ses membres, 36 % des répondants disent avoir des difficultés à voter. Dont un tiers parce qu'ils ont du mal à comprendre les programmes politiques… Des résultats qui rejoignent les constats réalisés lors des derniers scrutins par Unia, l'organe en charge de la lutte contre les discriminations. En prévision des élections de juin et octobre 2024, Altéo s'est mobilisé pour sensibiliser les partis politiques à proposer des versions plus accessibles de leurs programmes. Objectif : que chaque électeur — avec ou sans handicap — puisse exercer son droit de vote en connaissance de cause. En parallèle, des outils de préparation au vote ont été mis au point, pour aider ceux qui ont du mal à comprendre les enjeux et processus électoraux (voir encadré). En tête de liste : les personnes avec une déficience intellectuelle ou des troubles psychiques, encore trop souvent absents des bureaux de vote…

Plus ces personnes iront voter, mieux elles seront représentées et plus on aura une société inclusive !

Marie Horlin, Unia

Handicap intellectuel : beaucoup de préjugés

Pas intéressés, incapables de voter et de faire le "bon" choix, trop influençables… Ce genre de préjugés sur l'électeur avec un handicap intellectuel est fréquent, soulignait Marie Horlin, représentante d'Unia lors d'une conférence organisée par Altéo. Des idées reçues parfois aussi présentes dans les institutions, parmi les encadrants et les soignants. Des certificats médicaux ont longtemps été réalisés à la chaîne, pour "libérer" les résidents de leurs obligations citoyennes. Mais les mentalités et les pratiques changent… De plus en plus d'institutions se mobilisent autour du vote, nuance Marie Horlin. "Il est important de combattre ces préjugés et de prendre conscience que les personnes avec une déficience intellectuelle ont des capacités à poser des choix conscients, ajoute-t-elle. Certains ont plus de difficultés que d'autres… Mais il faut garder en tête qu'il ne s'agit pas d'un groupe homogène. Et si certaines personnes manquent d'intérêt, c'est parfois parce qu'elles n'ont pas été assez informées et sensibilisées à l'importance du vote. La citoyenneté se construit !" D'où l'importance de la préparation au vote en amont, grâce aux proches ou aux encadrants :"Plus ces personnes iront voter, mieux elles seront représentées et plus on aura une société inclusive !"

Un travail de vulgarisation est essentiel, de la part du monde politique

Un droit pour tous

Selon le Comité des droits des personnes handicapées, organe de contrôle de la Convention ONU, le vote est un droit absolu pour tous, sans exception pour aucune catégorie de handicap*. Et les États sont tenus de mettre en place des aménagements raisonnables pour rendre ce vote possible et accessible. Si des avancées ont été faites au niveau des personnes à mobilité réduite, telles que l'obligation d'avoir un isoloir adapté dans chaque lieu de vote, très peu a été fait pour la déficience intellectuelle et les troubles mentaux, regrette Unia, chargé de vérifier l'application de la Convention en Belgique. Il faut cependant noter que toute personne en situation de handicap — visible ou invisible — a le droit de se faire accompagner par quelqu'un de son choix, jusque dans l'isoloir. À côté de cela, un travail de vulgarisation des programmes et des enjeux est essentiel, de la part du monde politique. Il est d'ailleurs indiqué dans la Convention ONU que les États doivent veiller à ce que "les procédures, équipements et matériaux électoraux soient accessibles, faciles à comprendre et à utiliser"…

Entourage : un soutien crucial

Pour réduire les recours systématiques aux certificats et aux votes par procuration, le rôle des proches et des encadrants est capital, souligne Unia dans son rapport. Il faut tout d'abord qu'ils soient convaincus du bien-fondé de ce droit, mais aussi qu'ils aient le temps d'organiser une réelle préparation ainsi qu'un accompagnement le jour J. Ce qui n'est pas aisé, en particulier dans les institutions, où les encadrants sont en effectif réduit le dimanche et les lieux de vote des résidents parfois éloignés ou éparpillés. Au-delà du choix, l'acte même de voter, sur un ordinateur ou un bulletin papier avec des cases minuscules sans visuels ni couleurs, peut déjà être stressant et compliqué. En outre, l'ambiance des bureaux de vote bondés, avec de longues files et de nombreux stimuli, s'avère anxiogène pour certains. À ce niveau, quelques aménagements pourraient aider, comme l'instauration du vote anticipé ou par correspondance, la création de bureaux de vote mobiles ou encore l'installation de bureaux dans des structures collectives... En 2018, l'asbl Inclusion avait organisé des animations et des séances d'entrainement avec différentes institutions, qui permettaient de tester les machines et se familiariser avec les bulletins de vote. "Nous avons eu des échos des participants, qui nous ont dit avoir ressenti une énorme fierté d'avoir réussi à aller voter par eux-mêmes, sans aide" raconte Émeline Caron, de l'asbl Inclusion. Des retours qui rejoignent les nombreux entretiens réalisés par Unia dans son enquête. Permettre à ces personnes, souvent exclues de la société, de se préparer et d'aller voter malgré leurs difficultés, est extrêmement gratifiant. Et c'est une manière de leur dire : vous faites partie de la société, votre voix compte…

1) En Belgique, les personnes avec une déficience intellectuelle sévère ont longtemps été sous le statut de mineur prolongé, qui les privait de leurs droits politiques. Depuis sa suppression en 2014, elles sont sous le régime de protection judiciaire. Elles conservent leur droit de vote, sauf si le juge de paix estime qu'elles n'en sont pas capables. Selon Unia, ce retrait des droits est encore trop fréquent, par prudence et méconnaissance du handicap...