
Soins de santé
Autrefois cantonnée dans d’obscurs recoins du web, l’idéologie masculiniste s’affiche aujourd’hui partout sans complexe. Surtout sur les réseaux sociaux où les ados et (jeunes) hommes y sont exposés plusieurs fois par jour.
Publié le: 19 février 2025
Par: Candice Leblanc
7 min
Photo: (c)AdobeStock // Les masculinistes semblent persuadés que le monde est désormais dominé par les femmes et que les hommes n’auraient plus rien à dire…
Quand Mark Zuckerberg, le patron de Facebook et Instagram, a annoncé en janvier dernier l’arrêt de son programme de fact-checking aux États-Unis et de ses politiques pour la diversité au sein de ses entreprises, il a réclamé "plus d’énergie masculine". De quoi inquiéter les innombrables personnes qui sont déjà insultées, menacées, voire persécutées, en ligne et dans la vraie vie. En premier lieu, les femmes et les minorités sexuelles.
Un cran au-dessus de la misogynie ordinaire, le masculinisme peut se définir comme "une idéologie qui consiste à penser les masculinités comme étant en perte de vitesse, en crise, dans une société qui serait moins en leur faveur". Les masculinistes semblent persuadés que le monde est désormais dominé par les femmes et que les hommes n’auraient plus rien à dire… Ces mouvements prônent donc un retour à des valeurs traditionnelles et s’en prennent violemment aux femmes et aux féministes, responsables, selon eux, d’une dégradation de leurs conditions de vie et de leurs droits.
Selon les masculinistes, la sous-représentativité des femmes aux plus hautes sphères du pouvoir (politique, juridique et économique), les inégalités salariales, les féminicides, la culture du viol et les violences sexistes en général seraient des phénomènes très exagérés, voire inventés par les féministes. Leur objectif est de remettre les femmes à leur place – à la maison et à leur disposition, pour bien faire – et de "reviriliser" les hommes, devenus trop sensibles, trop faibles, trop… féminins.
Jusqu’à il y a peu, ce type de complotisme était cantonné à quelques forums obscurs du web. Mais depuis le Covid, les discours masculinistes se sont massivement répandus, favorisés par la montée de l’extrême droite et par les algorithmes des réseaux sociaux. Aujourd’hui, il n’est même plus nécessaire de faire une recherche active sur Google : "Il suffit d’être un (jeune) homme et d’avoir un compte sur l’un ou l’autre réseau social pour être automatiquement exposé, plusieurs fois par jour, à du contenu sexiste, des discours masculinistes et de la pornographie – qui en véhicule largement les idées", constate Simon Dubois-Yassa, formateur et chargé de mission Masculinités au Monde selon les Femmes. Le phénomène, présent sur tous les réseaux sociaux, a été documenté par plusieurs études.
La manosphère, c’est-à-dire l’ensemble des communautés misogynes et masculinistes actives sur le web, a mille visages. On peut toutefois y distinguer deux catégories – qui se recoupent volontiers. La première regroupe les "idéologues" de tous bords, qui diffusent leurs idées dans une perspective plutôt politique. Les discours masculinistes sont portés par des individus aux convictions très différentes : des sympathisants d’extrême droite, des anticolonialistes, des athées, des croyants de toute confession, des célibataires en mal de sexe (les incels), etc.
La seconde catégorie a une visée plus commerciale. Ce sont les personnes qui s’appuient sur les idées masculinistes et cherchent à manipuler les (jeunes) internautes pour leur vendre quelque chose : jeux vidéo, coaching en séduction, abonnement sportif, stage pour "devenir de vrais mecs", etc.
" Quelles que soient leurs motivations, tous ces gens utilisent les réseaux sociaux pour reconstruire une hégémonie culturelle masculine, analyse Simon Dubois-Yassa. Ce n’est pas toujours flagrant de prime abord. Les plus malins instillent leurs idées petit à petit. Idées qui, à force d’être répétées, finissent par influencer, voire convaincre des internautes qui, au départ, n’y étaient pas sensibles."
Cette radicalisation en ligne a des conséquences concrètes et potentiellement (très) violentes. D’aucuns pointent d’ailleurs l’émergence d’un véritable terrorisme masculiniste. Aux États-Unis, plusieurs auteurs de tueries de masse les ont perpétrés au nom de cette idéologie, suivant ainsi les traces de Marc Lépine qui, en 1989, à l’École polytechnique du Québec, a abattu 14 jeunes femmes. En France, le 1er novembre dernier, les participantes d’une soirée réservée aux femmes ont été visées par des tirs de mortier ! Plus tôt dans l’année, la police française avait arrêté un incel de 26 ans qui projetait un attentat masculiniste durant le passage de la flamme olympique à Bordeaux...
À un moindre niveau, il est de plus en plus courant d’entendre des garçons, pourtant élevés dans des environnements progressistes et égalitaires, tenir des propos misogynes et avoir des comportements sexistes. En France, le Rapport 2025 sur l’état du sexisme évoque "une polarisation sociale de plus en plus marquée sur les enjeux d’égalité de genre" : les Françaises de 15 à 24 ans sont de plus en plus progressistes et leurs homologues masculins de plus en plus réactionnaires. 13 % d’entre eux estiment qu’il est plus difficile d’être un homme dans le monde d’aujourd’hui que d’être une femme… "Non seulement l’idéologie masculiniste minimise, voire justifie les inégalités et les violences dont les femmes sont victimes – ce qui contribue à les perpétuer – mais elle a aussi un impact négatif sur la santé mentale et la vie relationnelle des hommes, commente Simon Dubois-Yassa. En effet, de tels discours sabotent leurs chances de se lier à la gent féminine qui excuse et tolère de moins en moins les propos et violences sexistes."
Ceci dit, les femmes aussi sont visées par l’idéologie masculiniste et certaines y souscrivent. Entre les tradwifes qui prônent et glorifient le retour de la femme au foyer, le courant littéraire et cinématographique de la dark romance qui valorise les hommes violents et les relations toxiques, en passant par les influenceuses d’extrême droite, c’est le même fonds de commerce : il s’agit de vendre cette idéologie patriarcale à coup de cupcakes, de romances "passionnées", de stéréotypes de genre et/ou de racisme larvé.
Simon Dubois-Yassa
Un problème aussi complexe et mondial nécessiterait une réponse politique globalisée. Est-il encore possible d’obliger les plateformes à modifier leurs algorithmes et/ou à modérer leurs contenus ? Au vu de l’actualité, il est permis d’en douter. Cela dit, nous pouvons résister à l’idéologie masculiniste à un niveau interpersonnel. Comment ? En en parlant avec les jeunes ! Voici quelques conseils pour aborder la question et savoir s’ils sont sensibles, voire adhèrent à ces discours.
Demandez-leur régulièrement comment se passent leurs journées/soirées sur le web, car c’est une partie très importante de leur vie.
Posez des questions ouvertes. Ne soyez pas condescendant ni jugeant à l’égard de leurs gouts et centres d’intérêt.
Invitez-les à exercer leur esprit critique. Rappelez-leur qu’il s’agit d’un modèle économique conçu pour capter et retenir l’attention et vendre (de la pub, des biens et services, des idées, etc.). "Les jeunes ont les ressources pour reconnaitre et résister aux tentatives de manipulation ; il faut juste leur donner les 'lunettes' pour les voir !", rappelle Simon Dubois-Yassa.
Responsabilisez-les sur leurs pratiques en ligne. Internet ne fait que reproduire les injustices de la vie réelle : misogynie, racisme, homophobie, grossophobie, inégalités sociales, etc. Les jeunes peuvent à la fois en être victimes et/ou les perpétuer.
Si le jeune suit des influenceurs masculinistes, il serait contreproductif de dénigrer ces derniers ou de tenter de les interdire. Essayez plutôt de comprendre ce qui l’attire dans ces contenus. Sans doute se pose-t-il des questions sur son rapport aux autres et/ou sur son identité qui, pour rappel, est en pleine construction. Le masculinisme offre des réponses simplistes et binaires à des questions complexes. En parler permet d’ouvrir le champ des possibles et d’aider votre enfant ou élève à construire sa propre réflexion.
Pour aller plus loin, nous vous conseillons le livre de Pauline Ferrari: "Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux"