Droits du patient
Le 18 novembre marquera le lancement de la campagne "Statut de cohabitant.e – 100% perdant.e" menée conjointement par le Centre d’information et d’éducation populaire (Ciep/MOC) et Présence et Action culturelle (PAC). Un combat de 40 ans pour la suppression d'un statut jugé discriminant envers les personnes les plus précaires, et plus particulièrement les femmes.
Publié le: 25 janvier 2023
Par: Soraya Soussi
4 min
Photo : : (c)AdobeStock
Lucienne, âgée de 85 ans, est bénéficiaire de la Garantie de revenus pour personnes âgées (Grapa). Elle sent que son autonomie vacille. Elle irait bien en maison de repos mais ses revenus sont insuffisants. Elle pense alors emménager chez sa fille. Gros hic : Lucienne et sa fille – qui bénéficie d’une allocation de chômage – deviendraient alors cohabitantes et verraient chacune leurs revenus diminuer, ce qui mettrait sa fille dans l'incapacité d'assumer les charges de son ménage. Cette situation fictive est le lot de nombreuses personnes. Le statut de cohabitantest sous le feu des critiques depuis son instauration en 1974 dans l’aide sociale. Et pour cause : la vie en couple, en famille ou en colocation est, le plus souvent, synonyme de perte importante de revenus pour les personnes qui perçoivent des prestations sociales. Cela concerne tant les revenus de remplacement de la sécurité sociale (allocations de chômage et d'insertion, indemnités d'incapacité de travail et d'invalidité) que les allocations d'assistance sociale (revenu d'intégration sociale, Grapa, allocation de remplacement de revenus pour personnes handicapées).
Depuis près de 40 ans, les organisations syndicales, mouvements féministes et associations de lutte contre la pauvreté militent pour la suppression de ce statut. Dans un contexte de crise sociale et énergétique, et dans la perspective des élections de 2024, le Ciep, le MOC et la PAC se mobilisent à nouveau avec d'autres associations et syndicats pour faire bouger les lignes au niveau politique.
Dans les années 80-90, pour faire des économies budgétaires, l'octroi d'une allocation plus basse aux cohabitants s'élargit à la branche du chômage (1980) puis à celle de la "maladie-invalidité" (1991). La logique politique s'appuie sur le principe suivant : les cohabitants sont solidaires et réalisent des économies d'échelle du fait de leur vie commune. "Ce système suppose que les dépenses d'une personne cohabitante équivalent à la moitié d'une personne isolée. Or, c'est une vision totalement erronée", s’insurge Eléonore Stuljens, chargée d'études aux Femmes prévoyantes socialistes, lors d’un webinaire rassemblant également la CSC-femmes, Vie féminine et le bureau des femmes de la FGTB.
À l'époque, l'entrée du statut de cohabitant impacte majoritairement les femmes sans emploi. La mise en application dans le secteur du chômage s'appuyait sur "la volonté de cibler des personnes qui avaient 'objectivement moins besoin de ces allocations que d'autres', décrit Soizic Dubot. Or, 90% des chômeuses étaient en couple",commente la coordinatrice de Vie féminine, qui voit dans cette mesure à la fois la négation de droits individuels et une vision réductrice du travail des femmes, celles-ci étant considérées comme des "travailleuses de seconde zone", n'amenant qu'un revenu d'appoint dans le ménage.
Source de précarité financière, le statut de cohabitant apparaît encore particulièrement discriminatoire envers les femmes. Bien que l’écart entre hommes et femmes se soit réduit. "Aujourd’hui, il y a une quasi-parité parmi les chômeurs complets indemnisés au taux cohabitant" (1). Par ailleurs, personne n’est à l’abri d’un accident de travail, d’une maladie ou d’une faillite.
Pour les organisations à l'initiative de la campagne, l'assurance sociale ne peut être remplacée par la solidarité "présupposée" au sein des couples ou entre cohabitants de manière générale. Il s'agit de droits sociaux pour lesquelles les personnes ont contribué par leurs cotisations. Ce système peut aussi entraîner des situations de dépendance contraires à l'égalité entre hommes et femmes et à l'autonomie de celles-ci.
Par ailleurs, les modes de vie et d'habitat se sont diversifiés : colocation avec ou sans lien de parenté et/ou affectif, habitat groupé, logement intergénérationnel.... Les réglementations en ma--tière de cohabitation pénalisent durement la "solidarité informelle, intrafamiliale, amicale ou citoyenne, qui ne se résume pas à la réduction d’une partie des frais de la vie courante."
D'autre part, supprimer le statut de cohabitant mettrait fin aux contrôles domiciliaires. Pour les organisations, ces contrôles posent un problème en termes de respect de la vie privée et sont une atteinte à la liberté et à la dignité des personnes. Par leur caractère suspicieux, ils peuvent générer de la méfiance envers des institutions sociales censées accompagner les ayants-droits. Un cercle vicieux en somme, puisqu'il renforce le non-recours aux droits. Avec comme conséquence aussi un manque de clarté, une insécurité juridique et un impact négatif sur la vie des gens.
Discriminant, appauvrissant, en décalage avec nos modes de vie, mettant à mal les solidarités..., le statut de cohabitant est ainsi l'objet de toutes les critiques. Sa suppression doit d’urgence revenir à l’agenda politique.
>> Pour en savoir plus sur la campagne "Statut de cohabitant.e – 100% perdant.e" : ciep.be