Consommation
Pour l’économiste Étienne de Callataÿ, professeur d’économie à l’université de Namur et à la London School of Economics, la Sécurité sociale ne peut pas reposer sur ses seuls acquis : la défendre, c’est la rendre plus efficace en appelant à la responsabilité tant individuelle que collective.
Publié le: 19 novembre 2024
Par: Propos recueillis par Sandrine Warsztacki
4 min
Illustration: (c) PAF! Design
En Marche : La Sécurité sociale célèbre ses 80 ans. Comment voyez-vous son avenir ?
Etienne de Callataÿ : La Sécurité sociale est attaquée par des acteurs dont je ne partage pas les valeurs, mais il faut dépasser la logique de la "citadelle assiégée" et oser se demander comment rendre le système plus efficace à la fois pour réduire les dépenses et mieux répondre aux inégalités. La Belgique n’est pas le pays le plus inégalitaire d’Europe, mais de nombreux indicateurs, à commencer par le nombre d’enfants vivant dans la pauvreté, doivent nous préoccuper.
En Marche : Et de quelle manière ?
Etienne de Callataÿ : Par la responsabilisation. À gauche, on se méfie du mot "responsabilisation", de peur de culpabiliser les plus vulnérables. Il ne s’agit pas de pointer les gens du doigt. Les politiques doivent mieux accompagner le retour à l’emploi. Les difficultés d’accès aux crèches, aux transports… sont de réels pièges à l'emploi. Mais il faut aussi garder en tête qu’en refusant un emploi jugé insuffisamment intéressant ou rémunérateur, on refuse aussi de contribuer à la solidarité.
On a parfois peur de changer le système, par crainte que ce changement ne soit prétexte au démantèlement. Mais en ne changeant rien, on nourrit aussi le ressentiment et les discours hostiles.
En Marche : La responsabilisation, ça passe aussi par les employeurs…
Etienne de Callataÿ : Absolument ! Une entreprise qui génère un taux de burnout élevé doit être sanctionnée. Aujourd’hui, chacun prône la responsabilisation, mais uniquement quand cela ne touche pas ses propres intérêts. Quand la droite parle de responsabilisation, j’ai envie de dire: bravo, allons au bout, et adoptons enfin le principe du pollueur-payeur pour les entreprises. Dans le fond, il n’y a pas principe plus libéral dans sa philosophie !
En Marche : Comment relever le défi du financement ?
Etienne de Callataÿ : Il faut relever le taux d'emploi, mais attention aux chiffres ! Remplacer deux temps plein et un chômeur par trois temps partiel involontaire, cela n'améliorera pas le financement de la Sécurité sociale.
Je suis favorable à une baisse des cotisations sociales, mais à condition de lutter contre l’optimisation sociale et fiscale. En Belgique, nous avons des taux de cotisation qui semblent élevés, mais il y a beaucoup de façons d'y échapper. Prenons le travail de nuit. On a baissé les cotisations pour répondre aux revendications salariales sans perdre en compétitivité, mais finalement on encourage des conditions de travail néfastes à la santé et on favorise des multinationales qui y recourent massivement au détriment d'acteurs de l'économie locale.
On pourrait aussi parler de la voiture de société… D’un côté, on dit aux entreprises et aux travailleurs qu’ils doivent contribuer, de l’autre, on leur offre des portes de sortie qui creusent le déficit de la sécurité sociale et renforce les inégalités.
En Marche : Comment lisez-vous l’enjeu du financement de la sécurité sociale, dans un monde où c’est plus globalement la durabilité de nos modèles économiques qui pose question ?
Etienne de Callataÿ : Le climat est pour moi un sujet majeur, et il aura des impacts directs sur notre capacité à générer des richesses. Imaginez un travailleur qui ne peut pas se rendre à son usine parce qu’une tempête a emporté le pont reliant son domicile au site moins de production, c’est moins de cotisations sociales. À côté de ça, les dépenses de santé, d’infrastructures, d’aide en cas de catastrophes climatiques vont inévitablement augmenter. Il faut se demander quel sera le visage de nos maisons de repos avec des températures qui sont de plus en plus élevées...
En Marche : Avec les attaques politiques croissantes contre les syndicats et les mutualités, un autre enjeu pour la Sécurité sociale, c’est aussi sa gouvernance…
Etienne de Callataÿ : Le danger serait le risque de laisser toute la place au marché. La comparaison avec le système de santé aux États-Unis est très parlante : ce modèle protège moins bien et coûte pourtant bien plus cher. La privatisation des retraites dans certains pays d’Amérique du Sud est tout aussi révélatrice. Les fonds privés explosent leurs budgets publicitaires pour attirer des clients, mais chaque euro dépensé dans la pub, c’est un euro en moins pour les pensions !