Soins de santé
Le nombre de travailleurs et travailleuses âgées en incapacité de travail ou en invalidité ne cesse d'augmenter. Comment, dès lors, améliorer le bien-être en fin de carrière ? Le service d'études de la MC s'est penché sur la question.
Publié le: 06 septembre 2023
Par: Julien Marteleur
8 min
Photo: © AdobeStock
"On est foutus, on bosse trop !". Au regard du nombre de salariés âgés de 50 à 64 ans en incapacité de travail de longue durée ou en invalidité, le slogan ne semble pas usurpé : de 11 % en 2005, leur proportion est passée à 15 % en 2019, avec une augmentation plus marquée chez les femmes. En 2018, 43 % des employés et employées du secteur privé en invalidité avaient plus de 55 ans…
La sonnette d'alarme avait déjà été tirée l'an dernier par le service d'études de la MC, qui s'est à nouveau penché sur la question en interrogeant près de 4.700 membres de la mutualité âgés de 55 à 64 ans : "Nous avions constaté le manque d'aménagements mis à disposition des travailleurs et travailleuses pour que leur fin de carrière puisse se dérouler dans les conditions les plus harmonieuses possible, rappelle Hélène Henry, chercheuse au sein de la MC. Face à l'usure manifeste témoignée par ces employés, nous avons voulu savoir quels types d'aménagements sont les plus adéquats pour améliorer le bien-être dans cette dernière ligne droite professionnelle."
Maryse a 58 ans. Longtemps responsable de vente à la tête d'une petite équipe, elle se remémore le moment où la ménopause est entrée sans frapper dans son bureau, 10 ans plus tôt. "J'étais au courant de certains symptômes : l'arrêt des règles, la chute des hormones, l'ostéoporose… Mais je ne soupçonnais pas les insomnies, le brouillard cérébral, les douleurs articulaires parfois terriblement invalidantes." Il y a eu aussi les bouffées de chaleur, qui l'obligeaient à constamment garder la fenêtre ouverte. "J'ai eu cette chance : avoir un espace à moi seule où travailler. Mais quand je voyais la tête de mes collègues, qui me dévisageaient parce que le vent s'engouffrait dans mon bureau en plein hiver, j’ai pris conscience que la vie en 'open space' aurait été plus difficile à gérer."
"La ménopause peut affecter le bien-être au travail de nombreuses femmes en fin de carrière. Pourquoi dès lors, ne pas en tenir compte dans les politiques d'aménagement des fins de carrière", s’interroge Hélène Henry ? En Belgique, 77 % des femmes déclarent que leur qualité de vie s'est détériorée à l'apparition de la ménopause, selon une étude réalisée en 2016.
La même année, la Société européenne de ménopause et d'andropause (Emas) publiait des recommandations sur les conditions de travail des femmes ménopausées. Dans ce document, les experts préconisaient plusieurs mesures pour faciliter leur quotidien : possibilité de régler la température et la ventilation (quitte à déplacer leur bureau près d'une fenêtre) ; accès rapide à de l'eau fraîche et à des toilettes (l'entrée dans la ménopause peut s'accompagner de saignements abondants) ; horaires de travail aménagés temporairement en cas d'insomnies… Des suggestions accueillies avec tiédeur, voire ignorées par la plupart des entreprises. "La ménopause reste un tabou dans le milieu professionnel", parle Maryse d'expérience. Pourtant, il ne s'agit pas d'une fatalité : au Royaume-Uni par exemple, un réseau d'experts a développé un programme d'aide aux entreprises pour les éduquer à la thématique. Au terme de ce programme, l'entreprise se voit recevoir une accréditation témoignant de son implication. Au Canada, la Fondation pour la ménopause propose également d'épauler les entreprises dans l'instauration d'un cadre vigilant . "Au-delà de cette période délicate dans la vie d'une femme, il faut tenir compte des problèmes de santé spécifiques aux femmes tout au long de la carrière, qu'il s'agisse de syndromes prémenstruels ou encore d'endométriose, souligne la chercheuse de la MC Hélène Henry. Rappelons également que les femmes sont plus sujettes aux inégalités sociales, à l'insécurité d'emploi, au burn-out ou à une situation d'aidante proche… La mise en place de conditions de travail qui leur sont adaptées est primordial."
Marc avait 53 ans quand il s'est séparé de son épouse après 26 ans de mariage. Il a connu un sérieux passage à vide, exacerbé par l'annonce, à la même époque, du cancer de sa maman. "Le ciel m'est tombé sur la tête, raconte-t-il avec émotion. Face à ce raz-de-marée qui semblait tout emporter dans ma vie personnelle, mon job m'a servi de bouée de sauvetage." Salarié dans le secteur bancaire, il a pu compter sur un patron compréhensif, "qui a sans doute vu que ma façade commençait à se fissurer. Il a compris mon besoin de faire une pause et m'a ensuite proposé de faire du 'coaching' auprès des plus jeunes salariés de l'entreprise. Cela peut paraître anodin, mais c'est ce partage d'expérience qui m'a servi de thérapie pour reprendre pied. Je ne me sentais plus la force, dans un premier temps, de me retrouver en première ligne face aux clients."
L'histoire de Marc souligne l'importance que revêt le sens, la reconnaissance et la qualité des relations au travail. "Le vieillissement rime souvent avec la sensation que le temps est compté. Les aspects relationnels et le sens de la vie prennent alors une place plus grande, analyse Hélène Henry. Ces aspects sont souvent trop peu pris en compte. Plusieurs études ont montré que les mauvaises relations avec le ou la supérieure hiérarchique sont majoritairement responsables d'un mal-être au travail. Et cela vaut pour tous les types d'emploi, y compris les moins qualifiés." La convention collective de travail (CCT) n°104, imposée aux entreprises de plus de 20 employés pour maintenir ou augmenter le nombre d'employés de plus de 45 ans, fait pourtant bien peu de cas de cette dimension socio-émotionnelle.
En-dehors des questions liées à la culture du travail, les aménagements matériels (télétravail, aménagement d'horaires, crédits-temps ou congés supplémentaires ,etc.) ou ergonomiques, ont fait leur preuve dans leur capacité à améliorer une fin de carrière. L'accès à la formation, à des check-ups de santé réguliers ou à des plages horaires de détente durant le travail ne sont pas non plus à négliger, souligne l'étude de la MC. Mais, malgré l'existence de dispositifs légaux comme la CCT 104 visant à promouvoir le bien-être au travail et l'emploi en fin de carrière, on n'arrive pas à contenir l'hémorragie. Il faut que les politiques et les services d'inspection du travail contrôlent davantage la mise en application de ces dispositifs.
Pour la MC, il vaut mieux avant toute chose prévenir que guérir : c'est durant toute la durée de la carrière qu'il faut rendre le travail soutenable. "Bien souvent, on agit lorsqu'il est trop tard. L’espérance de vie en bonne santé en Belgique était de 64 ans en 2020, or à l’avenir, on demandera aux gens de travailler jusque 67 ans. Commençons d'abord par créer des environnements de travail sains dès le début de la vie active. En d’autres termes, permettons d’abord à toutes et tous d’atteindre l’âge de la retraite en bonne santé."
Depuis 2012, la Convention collective de travail n°104, appelée "Plan pour l'emploi des travailleurs âgés" est imposée aux entreprises de plus de 20 travailleurs. Selon la CCT 104, celles-ci doivent rédiger un plan pour l'emploi afin d'augmenter ou de maintenir le nombre de travailleurs âgés de 45 ans et plus. Pour établir ce plan, l'employeur peut faire un choix parmi une liste de domaines d'actions : accès aux formations, aménagements ergonomiques, accompagnement de carrière, adaptation de la fonction, du temps ou des conditions de travail… Sur papier, cette convention a tout pour plaire. "Le problème, c'est qu'elle ne semble pas suffisamment contraignante, regrette Hélène Henry. L’employeur choisit la ou les mesures qu’il souhaite mettre dans son plan, mais rien ne l’oblige à y mettre un contenu ambitieux."