Politiques sociales

Pour vivre zen, vivons égaux

Pourquoi même les riches  ont intérêt à vivre dans des sociétés plus égalitaires ? Explications avec l'épidémiologiste de renom Richard Wilkinson.

Publié le: 18 novembre 2020

Mis à jour le: 18 septembre 2024

Par: Dave Redmond

7 min

Illustration personnage bien être zen

Illustration (c) Yasmine Gateau: Dans les sociétés égalitaires les relations sociales sont moins tendues

Dans Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, les épidémiologistes britanniques Richard Wilkinson et Kate Pickett démontraient que les pays inégalitaires voyaient les indicateurs de santé de l’ensemble de leur population se dégrader à différents points de vue: espérance de vie réduite, mortalité infantile plus importante, obésité à la hausse, etc. Dix ans après ce premier essai richement documenté, leur nouveau livre Pour vivre heureux, vivons égaux puise dans le champ de la recherche en psychologie de nouveaux arguments pour étayer leur thèse. Pour ces deux experts de la santé publique et des statistiques, les inégalités de revenus sont aussi à la source des nombreux troubles de santé mentale qui touchent de plus en plus durement nos sociétés modernes. Et de mettre en garde contre une véritable épidémie d’anxiété qui nous guette là où la compétition l’emporte sur la coopération.

En Marche : Vous avez comparé une série de statistiques dans des sociétés jugées égalitaires, comme les pays scandinaves, et des pays inégalitaires, comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Quelles conclusions en tirez-vous ? 

Richard Wilkinson :  Dans les pays où l’on mesure un haut degré d’inégalités entre les revenus les plus hauts et les plus bas, on voit une série de problèmes s’aggraver : réduction de l’espérance de vie en bonne santé, augmentation des violences, ce qui se traduit notamment par un taux d’homicide et d’incarcération plus élevé, indicateurs à la baisse concernant le bien-être des enfants, moindres résultats à l’école dans les comparaisons internationales… 

Les inégalités de revenus ne touchent pas tout le monde de la même façon. Ce sont les pauvres qui en souffrent le plus. Mais les chiffres montrent aussi que, même les gens qui ont accès à un bon travail, une bonne formation, une bonne situation, vivront moins vieux, encourront davantage de risque d’être victime de violence, de rencontrer des problèmes de drogues, de voir leurs enfants aller mal, etc. que s’ils vivaient dans un pays plus égalitaire. 

En Marche  : La preuve que l’argent ne fait pas le bonheur en sorte ?

Richard Wilkinson  : C’est difficile de mesurer le bonheur, qui est une notion très subjective. Dans les sociétés inégalitaires, les personnes riches ont tendance à se déclarer satisfaites de leur vie, à se présenter comme fortes et en bonne santé, ce qui est un marqueur de statut social. Mais si on regarde des indicateurs plus objectifs comme ceux cités avant, les chiffres ne sont pas bons du tout. 

Dans les pays développés, la qualité de vie dépend de moins en moins de l’augmentation des standards matériels. C’est important d’élever ces standards dans les pays pauvres. Mais dans les pays riches, avoir de plus en plus fait de moins en moins la différence. 

Alors que la plupart des gouvernements ne jurent que par la croissance économique, il faut se concentrer sur des indicateurs comme le niveau de bien-être. On peut avoir une croissance économique importante sans que les populations ne soient plus heureuses. Plus d’inégalités, c’est aussi plus de consumérisme. Il faut se montrer sous son meilleur jour, dépenser de l’argent pour des vêtements à la mode, des voitures tapent à l’œil. Autant de choses qui empêchent de développer le bien-être social à l’intérieur des limites de notre planète.

En Marche : Comment expliquer ce mal-être des sociétés inégalitaires ?

Richard Wilkinson  : Ce qui importe le plus en termes de qualité de vie, c’est la qualité des relations sociales. Quand les écarts de revenus entre les riches et les pauvres augmentent, la compétition pour le statut social se tend également. Les complexes de supériorité ou d’infériorité se renforcent. Les gens s’inquiètent davantage de la façon dont ils sont vus et jugés. Cela crée une forme d’insécurité dans les relations sociales et finit par devenir une source de stress chronique. Or, les effets biologiques du stress sur la santé sont bien connus et bien documentés. Les recherches scientifiques démontrent qu’une exposition au stress sur de longues périodes fait vieillir plus vite, affecte le système immunitaire et vasculaire. 

Les inégalités de revenus affectent négativement la qualité de nos relations sociales, de la vie communautaire, le souci que nous pouvons avoir les uns des autres entre voisins, nos amitiés, tout ce qui fait vraiment la qualité de vie. Les recherches sur le bonheur démontrent que le nombre d’amis, le fait d’être impliqué dans des relations sociales, est crucial pour la santé.  

En Marche : Dès lors, comment construire une société plus égalitaire ?

Richard Wilkinson  :  La première approche, c’est de taxer les revenus. Il faut lutter contre la fraude fiscale, un phénomène que l’on observe davantage dans les classes les plus riches. Ce ne sont pas les plus petits revenus qui sont les premiers à tenter d’échapper à l’impôt. L’autre approche, c’est de diminuer les inégalités en amont. Dans les années 80, le CEO d’une entreprise pouvait gagner 30 fois environ le salaire de l’ouvrier moyen travaillant pour la même firme.  Aujourd’hui, le ratio est de 300 à 400 fois ! Pour réduire les inégalités à la source, il faut faire rentrer la démocratie dans les entreprises, avoir davantage d’employés dans les conseils d’administration et les lieux de décisions. Il s’agit aussi de favoriser le développement de formes d’entreprise plus démocratiques, comme les coopératives, etc. 

On ne peut pas se contenter de mettre en place des politiques pour lutter contre la pauvreté, il faut aussi démocratiser l’économie pour réduire les inégalités qui créent de l’exclusion et qui sont autant d’obstacles à la construction d’une société plus durable.

En Marche : Vous qualifieriez-vous d’utopiste ?

Richard Wilkinson :  Mes travaux se basent sur des données observées dans des sociétés existantes, sur des comparaisons réalisées entre des pays égalitaires et des pays inégalitaires. Les différences d’écart de revenus dans les pays développés ont réellement une incidence. Je n’ai pas observé des utopies, juste ce qui existait.