Droits du patient
La dénutrition concerne la grande majorité des séniors. Loin d’être anodin, ce phénomène n’est pas seulement intriqué à une série de problèmes de santé ; il fragilise considérablement les personnes atteintes. Pourtant, être dénutri n’est pas une fatalité.
Publié le: 25 janvier 2023
Par: Candice Leblanc
8 min
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Alors qu’il a toujours été un bon vivant, René, 82 ans, a perdu l’habitude de se resservir à table... quand il termine encore son assiette ! Chantal, 79 ans, ne mange presque plus de viande. Quant à Sofia, depuis son opération de la hanche, elle ne bouge presque plus de chez elle ; son médecin s’inquiète de la fonte musculaire que cette sédentarité induit… Le point commun de ces trois séniors ? Ils sont tous les trois dénutris. "La dénutrition peut se définir comme un déficit en calories et/ou en protéines qui entraine une perte de masse musculaire et/ou des carences en vitamines et en minéraux, explique Véronique Latteur, gériatre au Grand hôpital de Charleroi. C’est un diagnostic complexe à poser, car il ne se résume pas à être 'trop maigre'. Les personnes obèses peuvent aussi être dénutries puisqu’il ne s’agit pas seulement d’une question de quantité de calories absorbées, mais bien de qualité des apports nutritionnels. Moins que le poids en tant que tel, c’est l’évolution, la variation du poids – même progressive et étalée sur plusieurs années – qui doit alerter."
La dénutrition est loin d’être anodine. Elle entraine une cascade de conséquences métaboliques qui, à leur tour, ont un impact réel et délétère sur la santé : une plus grande sensibilité aux infections, des cicatrisations plus lentes, des convalescences plus longues, un risque majoré de chute (avec toute la perte d’autonomie que cela engendre) et de troubles dépressifs, etc. Les études ont démontré que, en fin de compte, les personnes dénutries meurent plus tôt que les autres.
Plus on avance en âge, plus la dénutrition est commune. "Tous âges confondus, 5% de la population générale est dénutrie, poursuit la Dr Latteur. À l’hôpital, on tourne autour de 30% (1). Dans les maisons de repos et de soins (MRS), on grimpe à 60-80% des résidents et résidentes. Et dans les services de gériatrie, c’est presque la norme : 80 à 90% de nos patients sont dénutris. Il me semble important de considérer la dénutrition comme une maladie à part entière, car cela permet de la raisonner dans un cadre médical. C’est d’autant plus important que, outre sa fréquence, c’est aussi la maladie la plus intriquée à toutes les autres."
De fait, un grand nombre de pathologies est associé à la dénutrition. "Les cancers, les infections ou l’hyperthyroïdie sont connus pour augmenter le métabolisme. Dans ces cas, pour faire face aux besoins accrus d’énergie, le corps va puiser en premier lieu dans la masse musculaire (2)."
Il y a aussi les phénomènes physiques propres au vieillissement. Les atteintes sensorielles, par exemple. "Avec l’âge, certains goûts s’altèrent, on goûte moins les saveurs. Il y a aussi une perte des sensations-réflexes : l’appétit et la soif ne sont plus proportionnels aux besoins réels de manger et de boire – un phénomène amplifié par les démences. De nombreuses personnes âgées souffrent aussi de troubles de la déglutition, de constipation chronique ou encore de problèmes dentaires et gingivaux. Autant de 'petits' soucis qui altèrent le plaisir de manger et se traduisent par une baisse des apports alimentaires."
La sédentarité favorise aussi la dénutrition. Pour rappel, l’exercice physique permet de développer et d’entretenir la masse musculaire. Or, suite à des problèmes de santé, à cause d’une immobilisation forcée (une hospitalisation, par exemple) ou parce qu’elles se sentent (plus vite) fatiguées, nombre de personnes âgées ne bougent pas ou plus assez. Elles perdent ainsi du muscle, ce qui augmente encore leur fragilité. Un vrai cercle vicieux !
À ces causes physiques, une kyrielle de facteurs extérieurs peuvent aussi diminuer les apports alimentaires des séniors : la mauvaise nourriture servie dans certaines MRS ; les petits-enfants qui, croyant bien faire, apportent de la nourriture végane (sans protéines animales) à leurs grands-parents ; des difficultés financières qui font renoncer à acheter des produits protéiniques (viandes, poissons, fromages, etc.) ou à privilégier des viandes hachées (pauvres en protéines et riches en graisses) ; un désintérêt pour la cuisine suite une séparation ou un veuvage, etc.
Le moyen le plus simple de détecter une dénutrition est, bien sûr, de vérifier son poids de temps en temps. "Les médecins généralistes pèsent beaucoup les enfants et encore un peu les ados, mais rarement les adultes, regrette la Dr Latteur. De plus, tout le monde n’a pas de pèse-personne chez soi, alors que c’est un investissement utile. La plupart des malades chroniques (diabétiques, insuffisants rénaux, etc.) le savent : le poids et ses variations sont de bons indicateurs de santé !"
Si la personne ne prend pas conscience de son état de dénutrition par elle-même, certains signes doivent alerter l’entourage. "En premier lieu, tout changement dans les habitudes alimentaires ! répète la Dr Latteur. Davantage de restes dans l’assiette, moins de viande au menu éviction de certains aliments qui, avant, étaient très appréciés (parce qu’ils sont devenus trop durs à mâcher, par exemple), etc."
Les proches peuvent aussi (discrètement) jeter un oeil dans le frigo et les armoires pour vérifier qu’ils ne sont pas vides. Ils peuvent aussi remarquer des changements physiques : la personne flotte dans ses vêtements, change de cran de ceinture, a le visage plus émacié, etc. "Autre indice qui peut mettre la puce à l’oreille : quand le chien ou le chat grossit ! Cela signifie peut-être que son maitre ou sa maitresse lui donne davantage de restes de nourriture et/ou que le chien est moins promené, ce qui traduit assurément une baisse de l’activité physique."
En cas de doute, il faut en parler à un professionnel de la santé (médecin traitant, infirmière à domicile, etc.) afin de peser et d’examiner la personne pour confirmer la dénutrition et, le cas échéant, la traiter. "Après la respiration, boire et manger sont nos premiers besoins vitaux, rappelle la gériatre. Lors de la naissance, après le cri primal, la première chose que nous faisons est de téter, d’absorber de la nourriture. Il est curieux de devoir médicaliser quelque chose d’aussi naturel, mais c’est nécessaire. Or, de nombreux médecins hyper spécialisés passent à côté de cas de dénutrition ou ne la prennent pas assez au sérieux. J’ai récemment été appelée au chevet d’une patiente de 78 ans trop gravement dénutrie pour que nous puissions faire quoi que ce soit. J’étais furieuse : personne ne s’était ému du fait qu’elle avait perdu 17 kg en un an et demi ! Et elle n’en pesait plus que 29…"
Pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes, il est essentiel de prendre rapidement en charge la dénutrition. Il convient d’abord d’identifier d’éventuelles causes physiques afin, si possible, d’y remédier : un traitement ou un régime anti-constipation, des soins dentaires, des séances de logopédie en cas de troubles de la déglutition, etc. En parallèle, il faut augmenter les apports caloriques et/ou protéiniques. "Il n’est pas toujours nécessaire de, tout de suite, passer aux compléments alimentaires, voire à l’alimentation artificielle - même si, à partir d’un certain stade, c’est nécessaire, explique la Dr Latteur. Dans un premier temps, on peut très bien enrichir les repas de façon ‘artisanale’. Par exemple en ajoutant du beurre et de la crème aux préparations et en mangeant davantage de produits riches en protéines : les viandes, bien sûr, mais aussi des oeufs, des produits laitiers, etc."
Des études ont démontré que le meilleur moyen de pallier une dénutrition est d’agir sur les apports alimentaires tout en bougeant davantage. "Et il n’est jamais trop tard ! rappelle la gériatre. On peut améliorer sa masse musculaire jusqu’à 100 ans ! Pour ce faire, marcher ne suffit pas ; il faut faire travailler ses muscles en s’adonnant à des exercices contre résistance : soulever des poids, monter des escaliers, pédaler ou marcher en montée, etc." Bref, on en revient toujours à la même conclusion : bien manger et bien bouger, c’est la clé de la longévité !
(1) Une hospitalisation est un facteur déclencheur ou aggravant de la dénutrition. Raison pour laquelle un nombre croissant d’hôpitaux belges mettent en oeuvre un dépistage systématique du risque de dénutrition.
(2) C’est d’ailleurs le même problème dans la majorité des régimes : les gens perdent souvent du "bon poids", c’est-à-dire de la masse musculaire. Or, ce sont nos muscles qui nous maintiennent en bonne santé…
La Dr Latteur donnait 5 conseils à sa grand-mère (qui est devenue centenaire) :
• Boire assez : soit 1,5 litre d’eau par jour, davantage si on transpire.
• Manger assez : 1.800 à 2.000 kcal par jour (dont des protéines (*) !)
• Bouger assez : au moins 3 séances de 20 minutes par semaine d’exercices contre résistance.
• Éliminer assez : en luttant contre la constipation, par exemple.
• Rigoler assez, car rien ne vaut la joie de vivre ! Et pour cela, il faut voir des gens et sociabiliser.
(*) Une personne de 60 ans, pesant 60 kg, plutôt sédentaire est censé manger au moins 60 g de protéines d’origine animale par jour. Les protéines d’origine végétale sont moins bien absorbées par le corps humain.