Seniors

Sexualité des seniors : jouir de l'expérience

Sexe et vieillesse sonnent faux dans l'imaginaire collectif. Pourtant, si la fleur de l’âge passe, la sexualité des aînés ne se fane pas. En prime, une vie intime épanouie assure un meilleur bien-être. 

Publié le: 23 janvier 2025

Mis à jour le: 30 janvier 2025

Par: Soraya Soussi

9 min

Une senior tient une aubergine en main en la regardant d'un air coquin.

Photo : © AdobeStock - Certaines personnes découvrent leur sexualité sur le tard.

"J'ai passé 40 ans à essayer de le satisfaire au lit. Aujourd'hui, j'ai besoin de penser à moi." "Ce n'est pas parce que vous avez 70 ans, que vous n'avez plus de libido !" "J’ai besoin qu’il me prenne avec passion". Ces propos pourraient surprendre à première vue… mais pourquoi devrait-on les associer uniquement à une jeunesse révolue ? Selon une étude britannique (1), plus de la moitié des hommes (54 %) et près d'un tiers des femmes (31 %) de plus de 70 ans se déclarent encore sexuellement actifs. Une étude française (2) révèle des chiffres similaires : 52 % des 60 ans et plus ont toujours une vie sexuelle active. 

Contrairement aux idées reçues, de nombreux seniors ont une vie intime bien remplie. Pourtant, celle-ci reste largement invisibilisée dans notre société, les films, les médias...  C’est que les représentations âgistes ont la peau dure. On associe plus facilement les termes "malades", "fragiles", etc., à l’âge que "passion", "désir" et "sextoys". Résultat : la vieillesse est non seulement perçue au travers de stéréotypes négatifs, mais la sexualité des seniors devient un sujet tabou. 

Une évolution au fil du temps

Certes, on ne pratique plus la bagatelle comme à 20 ans : fatigue, troubles physiologiques liés à la ménopause chez les femmes et à l'andropause chez les hommes, maladies cardio-vasculaires, douleurs physiques liées à l'âge, etc. pourraient refroidir les draps de nos aînés. Pourtant, la sexualité ne disparaît pas avec le temps. Elle évolue. Si les chiffres (2) indiquent une baisse des activités (70 % des 60-64 ans ont des relations sexuelles, 32% chez les 80-84 ans et 8% au-delà de 85 ans), la sexualité des seniors prend de nouvelles formes au gré des années et des envies. 

Certains couples ressentent le besoin d'explorer ou de mettre au goût du jour leur intimité, observe Michel Amand, sexologue et thérapeute de couple. "Les corps et les mentalités changent avec le temps. Les couples sont soit dans une routine monotone qui ne les satisfait plus, soit le désir s'est éteint ou des troubles physiologiques freinent une vie sexuelle active. Il faut alors identifier la source de l'insatisfaction, communiquer — c’est très important — et trouver d'autres pratiques qui conviennent au couple." 

Il y a ceux et celles qui ont joui d'une vie sexuelle riche en expériences et qui continuent de la développer. Et d’autres qui préfèrent, aujourd'hui, laisser place à plus de tendresse et de complicité, sans forcément "faire l'amour" au sens classique du terme. Enfin, certaines personnes découvrent leur sexualité sur le tard, comme Jeanne, 72 ans. "J'ai beau avoir vécu ma jeunesse après mai 68, ma famille était très conservatrice. Et parler de sexe était inenvisageable. Le seul homme que j'ai connu fut mon mari. Je ne me posais pas de question quant à mon plaisir. On m'avait dit qu’il fallait que je fasse mon devoir en tant qu’épouse, c’est-à-dire 'faire des enfants'. Aujourd'hui, j'aimerais savoir ce que cela fait d'avoir un orgasme. Je ne voudrais pas mourir idiote", confie-t-elle en rigolant. 

La masturbation, le libertinage et l'utilisation des sextoys intéressent aussi les aînés. "Je reçois de plus en plus de femmes 'âgées' dans mon magasin. Certaines savent exactement ce qu'il leur faut. D'autres, plus gênées, me confient s'octroyer plus de temps pour explorer leur sexualité, après le départ des enfants et une charge mentale moins lourde", observe Luna, éducatrice de formation et vendeuse dans un "love shop".   

Certaines histoires douloureuses de femmes abusées dans leur jeunesse ont eu raison de toute forme de plaisir sexuel, constate aussi Luna : "Une cliente de 65 ans est venue dans l'espoir de se réconcilier avec le sexe. Elle venait de rencontrer quelqu'un après de longues années de célibat et souhaitait à présent jouir d'une sexualité épanouie. Elle connaissait très peu son corps car après avoir été agressée sexuellement, son rapport au sexe était très compliqué. 

Parler d'intimité passé 50 ans

La parole des aînés se libère lentement dans la vie et sûrement sur Internet. Caroline Ida, mannequin et influenceuse "silver", sexagénaire ou plutôt "sexygénaire" comme elle se définit, s'est donné pour mission de briser les stéréotypes véhiculés autour des femmes de plus de 50 ans. Elle a créé le compte Instagram "Fiftyyearsofawoman" où elle poste, entre autres, des photos totalement assumées de son corps vieillissant. "Après la ménopause, la plupart des gens pensent qu'on n'est plus bonnes à faire l'amour. On n'est pas du yaourt avec une date de péremption ! Au contraire, les femmes de plus de 50 ans gagnent en liberté sexuelle après la ménopause : plus de règles, plus de peur de tomber enceinte, une meilleure connaissance de son corps, etc. En parler sur les réseaux sociaux permet d’encourager d'autres femmes à s'exprimer (3)." 

Lorsqu'un sujet n'est pas traité et visible dans la sphère publique, il n'existe pas. Aujourd'hui, les mentalités progressent et la sexualité des seniors trouve des espaces d'expression, notamment grâce aux sites de rencontres pour les plus de 50 ans (Disons Demain, eDarling, Nos Belles Années, Meetic Senior, etc.). Bien que leur présence sur les petits et grands écrans soit encore timide, les films et séries consacrés aux romances du troisième âge se popularisent,comme "La méthode Kominsky" sur Netflix ou la série "Septième ciel" d'OCS, mettant en scène une romance entre deux octogénaires. "Depuis que la communauté queer (LGTBTQIA+) s’est emparée de la sphère publique et a commencé à faire entendre sa voix, la parole s’est libérée à propos du sexe. Et ce, auprès des plus de 60 ans aussi", observe Michel Amand, sexologue.  

Briser les tabous pour le bien-être

Entretenir des rapports intimes ou sexuels favorise l'image de soi, libère des endorphines (hormones du bonheur) et assure un meilleur sommeil… Des ingrédients indispensables pour un meilleur moral ! Et ce, à n’importe quel âge. Toutefois, les seniors se frottent à une série de stéréotypes compromettant leur bien-être mental et physique.  

Briser les tabous passe aussi par sensibiliser les professionnels de la santé et les outiller pour aborder ces questions, relève Michel Armand. "La vie affective et sexuelle a longtemps été taboue et c’est encore le cas aujourd'hui. Or, les tabous peuvent être néfastes pour la santé. Par exemple, une personne qui se sent mal depuis longtemps dans sa relation parce qu’elle se sent dans un désert affectif et sexuel, peut être à risque de tomber en dépression, développe le sexologue. Si elle n’aborde pas sa vie sexuelle et psycho-affective avec son médecin, impossible de poser un diagnostic, ni de traiter le problème. Même chose pour des aspects plus médicaux, comme la prévention des maladies sexuellement transmissibles."  

Si l'on se réjouit de voir l'espérance de vie augmenter, chacun aspire à jouir de ces années avec la meilleure qualité de vie possible. Aborder les questions liées à la santé sexuelle et psycho-affective en fait partie.