Consommation
Un enfant ou un jeune, dont les parents ont été déchus de leurs droits parentaux, a besoin d’un adulte pour le représenter et l’accompagner dans sa vie. C’est ce rôle essentiel qu'assure le protuteur, un peu comme un parrain ou une marraine. Mais la relation apporte aussi et surtout un enrichissement mutuel.
Publié le: 19 avril 2021
Par: Soraya Soussi
8 min
Photo: © iStock
Le chocolat. C'est ce qui a rapproché Emilie (prénom d'emprunt) et Anne-Laure lorsqu’elles ont discuté pour la première fois. C'était en 2019, dans le courant du mois d'avril, à l’approche de Pâques. Anne-Laure avait acheté un magazine people à la librairie et, pour marquer le coup, des œufs en chocolat. Anne-Laure est la protutrice de l'adolescente depuis deux ans. Elle la soutient, passe du temps avec elle, l'accompagne dans sa vie. Leur complicité est évidente. Et on devine le rôle essentiel que joue la jeune femme dans la vie de l'ado.
Les services de protection et de l’aide à la jeunesse tentent généralement de garder un mineur dans son foyer familial. Mais dans l’intérêt de l’enfant ou du jeune, lorsqu’il est en danger, le Tribunal de la jeunesse et de la famille peut acter une déchéance de droits parentaux (partielle ou totale). "Il est important de souligner que la déchéance des droits parentaux est une mesure de protection du mineur et non de sanction du parent, et qu’elle est prise en dernier recours", commente Caroline Bausier, assistante sociale au Renouveau, service de protutelle pour l’arrondissement judiciaire du Hainaut (Tournai et Mons).
Une fois la déchéance des droits prononcée, le mineur doit être représenté par un protuteur (voir ci-dessous). Cette personne fait office de parrain ou marraine dans la vie du mineur. Les enfants et les jeunes ont souvent des parcours tumultueux, de nombreux acteurs sociaux interviennent autour d’eux ; ils changent d’école, d’environnement, de foyer...Le protuteur est souvent la personne "repère" et stable dans leur vie.
Le protuteur ne devient ni famille d’accueil, ni parent d’adoption. Il est un représentant légal et, idéalement, un lien affectif stable. C'est une alternative intéressante pour des adultes souhaitant s'impliquer dans la vie d'un enfant ou d'un jeune qui en a besoin, sans devoir assumer une "trop grande charge".
Trouver un protuteur fait partie des missions du service de protutelle mandaté par le Conseiller du Service d’aide à la jeunesse. Les assistants sociaux du service investiguent d'abord l'entourage de l'enfant ou du jeune pour voir si une personne proche pourrait faire figure d'autorité : un membre de la famille, un ami des parents, un éducateur, un professeur, etc. Si aucune personne ne peut être trouvée dans l’entourage de l’enfant, l'ASBL se tourne alors vers des volontaires externes. "Il ne faut pas de diplôme particulier ni d'expérience dans le social pour assumer le rôle de protuteur, prévient Caroline Bausier. Du moment que l'on porte un intérêt pour le bien-être d'un enfant et qu'on soit ouvert d'esprit, car il n'est pas question de poser des jugements sur le ou les parents déchus de leurs droits". De l'avis de l’assistante sociale, il importe que le protuteur soit en bons termes avec les parents "pour éviter des conflits de loyauté chez l’enfant." Même chose lorsque l'enfant est placé en famille d’accueil. Les liens et contacts seront plus faciles à développer si l'entente est bonne entre le protuteur et les personnes qui vivent au quotidien avec le mineur.
Une fois le duo protuteur/enfant formé, l'assistant social envoie le dossier au Conseiller de l'aide à la jeunesse. Si celui-ci le valide, il le transmet à son tour au Tribunal de la jeunesse pour que le protuteur soit homologué par le juge.
Mère célibataire d'un garçon de 11 ans, Anne-Laure est protutrice depuis quatre ans. Ses premiers "pupilles" sont des jumeaux qui vivent en famille d'accueil. Ils avaient cinq ans quand elle les a connus. "Devenir famille d'accueil ou adopter était un rêve d’enfant. Malheureusement, ma petite maison et mon rythme de vie ne m'ont pas permis de le faire. Et puis, un jour, en feuilletant le journal de ma commune, j'ai vu la petite annonce du Renouveau..."
Les assistantes sociales de l’ASBL ont rencontré Anne-Laure chez elle. Elles ont pris le temps d'expliquer la fonction du protuteur et d'écouter ses envies et craintes. "Nous sensibilisons le candidat aux problématiques rencontrées. Par exemple, un enfant ou un jeune pourrait avoir été victime d’un abus sexuel, et cela pourrait faire écho à son propre vécu. Dans ce cas, nous invitons le candidat à ne pas accepter la protutelle de ce dossier", explique Anne Van Nieuwenhuise, directrice du Renouveau. Les assistantes sociales récoltent un maximum d'informations sur la personne souhaitant s'engager comme protuteur afin de "construire" des duo enfant/protuteur compatibles suivant les besoins et envies de chacun.
Si la première mission d'un protuteur est d'assurer les obligations administratives dans la vie d'un mineur, la protutelle volontaire dépasse largement cet aspect formel. "Il faut pouvoir passer du temps avec un enfant ou un jeune, apprendre à le connaître pour prendre les décisions qui lui conviendront", précise Anne-Laure.
Anne-Laure s’occupe de temps en temps des jumeaux, mais il lui restait encore du temps qu'elle souhaitait mettre à disposition d'un adolescent placé en foyer. Elle a donc recontacté Le Renouveau. Si pour les jumeaux, Anne-Laure avait dû attendre près d'un an pour devenir leur protutrice, pour Emilie, la procédure a été lancée en moins d'un mois.
Malgré sa petite taille et sa silhouette menue, Emilie en impose. Au ton de sa voix, on décèle chez elle une force tranquille qui traduit, déjà à 17 ans, un lourd passé. Sa mère est décédée et elle n'a plus de contact avec son père. Il lui reste des frères et sœurs avec lesquels elle garde des liens. Mais elle n'avait aucun adulte autre que les travailleurs sociaux du centre pour la guider, la soutenir dans ses choix, ses projets. Quand la directrice du centre lui a annoncé de la possibilité d'avoir une protutrice, Emilie n'a pas hésité. "Quand j'ai rencontré Anne-Laure pour la première fois, je lui ai rapidement fait confiance. Et puis, elle était venue avec des chocolats. C'était bon signe, confie timidement puis en riant l'adolescente. J’avais besoin d’une personne bienveillante pour m’aider dans mes choix de vie et j’ai senti qu’Anne-Laure était cette personne”, confie-t-elle en se tournant vers sa protutrice.
Depuis leur rencontre, Emilie et Anne-Laure prennent souvent du temps ensemble. "Avant le Covid, on se faisait des journées entre filles : restaurant, shopping, cinéma, manger du chocolat..., détaille Anne-Laure. Emilie est très coquette, alors elle me donne aussi des conseils 'maquillage' ou me complimente sur une tenue..."
Depuis deux mois, Emilie vit seule dans un petit appartement qu'elle a trouvé avec Anne-Laure. L'adolescente souhaitait introduire une demande de mise en autonomie. "Je suis plutôt solitaire, et au centre où je vivais depuis quatre ans, on vivait tous ensemble. Il y avait toujours du monde", justifie Emilie. Anne-Laure et les travailleurs sociaux l'ont alors accompagnée dans ce projet de vie. "Être attentive aux besoins d'Emilie, être présente pour elle, l'aider dans ses projets pourqu'elle puisse s'épanouir en tant qu'adulte, c'est mon rôle de protutrice", commente Anne Laure. Et Emilie le lui rend bien. "C'est un véritable échange. Emilie m'apporte beaucoup de bonheur. C'est une jeune fille qui sait ce qu'elle veut. Elle est super courageuse. Finalement, nous, protuteurs, nous servons surtout d'appui. On rencontre des enfants et des jeunes incroyables qui ont énormément de force en eux. C'est important de le souligner parce que les gens ont souvent des idées reçues. Oui ces enfants et ces jeunes ont eu des vécus difficiles mais ils ont plein de ressources et sont très combattifs. C'est une véritable leçon de vie d'être en contact avec eux."
Le protuteur est une personne adulte désignée par le Conseiller du Service de l'aide à la jeunesse (SAJ) et homologuée par le Tribunal de la famille et de la jeunesse. Cette personne acquiert, dès lors, les droits de l'autorité parentale en lieu et place du ou des parent(s) déchu(s) : elle représente le mineur, veille à ce que l'enfant jouisse de "conditions normales d'éducation (soins matériels et affectifs, soins médicaux, scolarité, loisirs...)" (1) et l'accompagne dans tous les changements de cadre de vie (école, institution, famille d’accueil, etc.) jusqu'à sa majorité. Le Conseiller du SAJ peut mandater un service de protutelle (voir "en savoir plus"). À noter que le protuteur n'est pas responsable civilement du mineur et n'est aucunement obligé de participer aux frais dans la vie de l’enfant (scolarité, soins de santé, etc.).
(1) "Le protuteur et la protutelle", brochure publiée par Le Renouveau, SAJ, Arron-dissement judiciaire du Hainaut, Division de Tournai et Mons.
Pour en savoir plus sur la protutelle ou les démarches à suivre pour devenir protuteur, voici la liste des quatre services de protutelle en Fédération Wallonie-Bruxelles. Consulter aussi le site de la Fédération des services de protutelle : protutelle.be.
Le Renouveau • 069/23.27.67 • [email protected]
Soutien à la jeunesse • 02/513.25.35 • 0473/97.04.70 • [email protected]
Comité d'aide à l'enfance • 071/30.31.32 • 0489/10.05.71• [email protected]
Abri de l'Enfance • 04/221.13.21 ou 04/344.13.15 • 0497/46.82.04 • [email protected]