Consommation
Les différents modes de déplacement ont évolué rapidement ces dernières années. Les usagers doivent cohabiter dans l'espace public, non extensible à souhait. Il existe pourtant des solutions pour améliorer l'entente entre tous.
Publié le: 17 octobre 2022
Par: Sandrine Cosentino
8 min
Photo: ©AdobeStock
La transformation de l'espace public génère des conflits et l'actualité du plan Good Move à Bruxelles n'est qu'un exemple parmi d'autres. Ce plan définit, pour les dix prochaines années, les grandes orientations politiques dans le domaine de la mobilité pour la Région de Bruxelles-Capitale. En reportant notamment le trafic de transit sur les grands axes et en modifiant les sens de circulation, les usagers de la route sont bousculés dans leur quotidien. Changer les habitudes prend du temps et un réajustement des mesures est parfois nécessaire pour s'adapter à la réalité du terrain.
"La situation d'aujourd'hui est plus complexe qu'il y a dix ans où il y avait des piétons, quelques cyclistes et les engins motorisés, analyse Benoit Godart, porte-parole de l'institut Vias chargé de la sécurité routière. Aujourd'hui, sur la piste cyclable, on retrouve des vélos, des vélos électriques, des vélos électriques rapides, des trottinettes électriques, des monoroues… Pourtant, je constate, plus qu'avant, des comportements courtois d'automobilistes envers les cyclistes ou les piétons et vice versa, ce qui est encourageant."
Les chiffres montrent également que le nombre de victimes sur les routes belges a diminué de 25 % en dix ans (source Stabel). C'est en agglomération qu'il y a le plus de victimes (en majorité des blessés légers) mais ce nombre a également diminué par rapport à 2012.
Depuis 1999, la part modale de la voiture a progressivement diminué, de 67% à 61% ; tandis que celle du vélo a progressé (de 8% à 12%) d'après une enquête Monitor (p 45) sur la mobilité des Belges en 2019. La diminution de la part modale de la voiture ne permet toutefois pas de diminuer l’intensité du trafic routier dû à l’augmentation de la population.
Chacun connait, dans son entourage, une personne ayant vécu une expérience traumatisante sur la route, que ce soit un cycliste envers un piéton, un automobiliste envers un cycliste… "Qu'on le veuille ou non, les modes de déplacement s'opposent parce qu'ils n'ont pas du tout la même masse ni la même vitesse, soutient Frédéric Héran, maître de conférences en sciences économiques, sociales et des territoires à l'Université Lille-I dans le podcast "La guerre des modes" réalisé par le Gracq. Ils sont, de fait, en concurrence." L'idée n'est pas d'opposer les usagers mais de se rendre compte que l'espace public n'est pas extensible à l'infini. D'après l'observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale, en 2014, malgré la diminution de la part de la voirie dédiée principalement à l’automobile (-2,9%), cette dernière dispose toujours de plus de la moitié (57,7%) des voiries bruxelloises (Cahier 5(b) de l'observatoire de la mobilité, p 100).
La séparation des modes n'est pas possible tout le temps, ce qui implique une adaptation des usagers en fonction des circonstances. Même lorsque chaque mode a son espace – chaussée, piste cyclable et trottoir – les flux se croisent aux intersections et aux carrefours, lieux à gérer et potentiellement conflictuels. Dans la plupart des cas, l'irritation nait d'une infraction au code de la route, constate l'institut Vias. Les usagers de la route n'ont pas beaucoup de moyens de communiquer entre eux, ils interprètent tout le temps le comportement des autres usagers. De plus, l'environnement est complexe et il faut gérer énormément d'informations en même temps. Tous ces facteurs peuvent contribuer à l'incompréhension et à l'énervement mutuel. Marilys Drevet, formatrice Driver Improvement pour Vias, explique dans le podcast "La guerre des modes" que l'escalade des comportements violents est dû à la manière donc notre cerveau fonctionne. "À ce moment-là, on est dans l'action et non plus dans la réflexion, ce qui nous fait parfois faire des choses qu'on ne ferait pas à d'autres moments."
Les usagers ont également tendance à s'identifier au mode de déplacement qu'ils sont en train d'utiliser. Sans nécessairement en être conscients, leur jugement peut alors être basé sur des stéréotypes. Les usagers non motorisés, par exemple, sont rarement des menaces directes pour les voitures. Par contre, ils peuvent provoquer de grandes frayeurs chez les conducteurs en ne respectant pas le code de la route. "Un travail de communication et de sensibilisation est nécessaire de la part des associations et des autorités pour inciter les usagers à mieux respecter les règles mais aussi à mieux communiquer entre eux, souligne Aurélie Willems, secrétaire générale du Gracq qui défend les cyclistes quotidiens. Lorsqu'on ne comprend pas une règle ou si on la trouve injuste, il est plus difficile de la respecter."
De nombreux automobilistes sont également dans l'incompréhension face aux discours culpabilisants sur l'utilisation de la voiture. "Depuis quelques années, on ressent de l'animosité envers l'automobile, déplore Lucien Beckers, fondateur de l'asbl Mauto defense. Il y a des problèmes de mobilité dans les grandes villes et il faut trouver des solutions pour alléger la circulation. Mais imposer de se passer de sa voiture sans qu'il y ait de solutions alternatives réalistes n'est pas acceptable. L'efficacité des transports publics doit être améliorée tant en Wallonie qu'à Bruxelles. Et certaines personnes auront toujours besoin d'une voiture..."
"Le mode de déplacement choisi a un impact plus ou moins grand sur la sécurité routière, sur l'environnement… précise Aurélie Willems du Gracq. Il y a un panel de solutions de mobilité – la marche, le vélo, la voiture, les transports en commun… – et il est important de se demander laquelle sera la mieux adaptée au trajet prévu." Emilie Herssens, coordinatrice de la plateforme Walk rassemblant des citoyens bruxellois autour de la marc he, renchérit :"Le contexte a un rôle important dans le choix du moyen de déplacement, au-delà des habitudes." Il peut être intéressant de vérifier, par exemple, son itinéraire sur un planificateur de trajet en fonction des différents modes de déplacement. Cela permet de se rendre compte, en fonction des situations, des horaires, de la densité du trafic, qu'un mode est plus adapté qu'un autre.
"Tout le monde a droit à sa place dans l'espace public et à y être en sécurité", rappelle Benoit Godart de l'institut Vias. Pour améliorer la cohabitation pour tous les usagers, il est nécessaire de travailler sur plusieurs axes.
Les acteurs sont unanimes : l'aménagement du territoire et de bonnes infrastructures sont indispensables pour une cohabitation apaisée des modes. "Le réseau routier wallon, par exemple, est en mauvais état, regrette Lucien Beckers. L'entretien des voiries est primordial pour la sécurité de tous, tant les automobilistes que pour les autres usagers de la route."
Les infrastructures doivent être bien pensées pour limiter les conflits entre usagers : "Typiquement, rapporte Aurélie Willems, lorsque les cyclistes et les piétons se trouvent sur une piste partagée, l'infrastructure crée des conflits entre ces deux modes. Un carrefour peut également engendrer des conflits lorsqu'il a été mal conçu."
Le respect des règles participe grandement au mieux vivre ensemble sur la route. Le code de la route a changé plus de 40 fois en dix ans, certaines règles ne sont donc pas toujours connues ou comprises. Les différents moyens de déplacement évoluent rapidement alors que l'adaptation du code est plus lente et cela crée parfois des zones grises… Cependant, le code de la route sert à lutter contre l'insécurité routière, et même si parfois il nous fait perdre quelques minutes, il s'agit d'un élément essentiel auquel il faut s'intéresser, quel que soit le moyen de transport utilisé.
Selon le porte-parole de l'institut Vias, "le grand défi des autorités dans les prochaines années sera de davantage protéger les cyclistes et les piétons, particulièrement lors de la traversée des voiries." Il serait également nécessaire de mieux connecter le réseau de voies lentes. "Ce sont des richesses à mieux exploiter, précise Emilie Herssens. Cela faciliterait les déplacements des modes actifs."
"La technologie automobile évolue et améliore la sécurité, comme la détection des piétons par exemple", observe Lucien Beckers. Des routes plus sûres permettront également de diminuer le sentiment de peur, prémices de tensions et d'agressivité.
Le troisième pilier est la courtoisie, nécessaire au quotidien. "On ne peut qu'encourager tous les usagers de la route à communiquer de manière courtoise et à être en lien les uns avec les autres, insiste Aurélie Willems. Il est important de bien montrer ses intentions. La diminution des vitesses aide à être plus connecté entre usagers."
En testant différents modes de déplacement, cela permet également de se rendre compte des contraintes de chacun et d'être plus empathique ou plus compréhensif pour certaines situations. "Une action a été proposée par des camionneurs, se souvient Benoit Godart. Ils invitaient les autres usagers de la route à les accompagner une demi-heure sur leur trajet afin de montrer concrètement ce que sont les angles morts d'un camion par exemple."
Emilie Herssens, de la plateforme Walk rappelle que "tout le monde est piéton à un moment donné ou à un autre. En être conscient permet d'être plus attentif aux usagers faibles."
En vivant dans une société où tout va plus vite, beaucoup d'usagers de la route ont l'impression que le déplacement est une perte de temps et que ce temps doit être le plus court possible. Et si nous considérions ce déplacement comme faisant partie du voyage, sans prendre dans son sac l'énervement, le stress ou l'impatience ? Cela nous permettrait de vivre un trajet, quel que soit le moyen de transport utilisé, de manière plus sereine.