Soins de santé
Préservation du pouvoir d’achat, soutien à la consommation, facteur de paix sociale, recettes accrues pour la sécurité sociale, rempart contre la récession... : les avantages de l’indexation automatique des salaires ne manquent pas. Pourtant, à la faveur de l'inflation élevée, les critiques à l'égard de ce système reviennent en force. Décryptage avec Philippe Defeyt, économiste à l'Institut pour un développement durable.
Publié le: 14 février 2023
Mis à jour le: 26 septembre 2024
Par: Joëlle Delvaux
4 min
Photo: © AdobeStock
En Marche : L'indexation des salaires entraîne-t-elle l'inflation dans une spirale, comme on l'entend parfois dire ?
Philippe Defeyt : À l'heure actuelle, il n’y a pas de spirale dans laquelle la hausse des salaires entraînera à nouveau une hausse des prix. Pour 2023, le Bureau du Plan s’attend à ce que le taux d’inflation annuel redescende à 4,8 % (il était de 9,49 % en 2022). Par ailleurs, il prévoit une seule indexation en 2023, qui ne se produirait pas avant l'été.
Les vrais coupables de l'inflation, ce sont surtout les prix de l’énergie qui ont flambé à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine. L’inflation est aussi alimentée par la hausse des prix des produits alimentaires et des coûts de production. En effet, de nombreuses entreprises répercutent l’augmentation de leurs coûts pour conserver leurs marges bénéficiaires.
Pour aider les ménages à faire face à la flambée des prix de l'énergie, le gouvernement fédéral a pris une série de mesures (baisse de la TVA, allocations, chèques, etc.). Mais, comme toute décision qui influe sur le contrôle des prix, cela a pour effet de retarder l'indexation des salaires. En quelque sorte, ces mesures sont des aides indirectes de l'État aux entreprises.
Philippe Defeyt
EM : Pour la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), abandonner l’indexation automatique des salaires serait bénéfique pour la compétitivité. Que répondez-vous ?
PhD : En Belgique, on dispose d'une loi – la loi de sauvegarde de la compétitivité de 1996 – qui cadenasse les négociations salariales dans les entreprises. Une marge d’augmentation des coûts salariaux est fixée tous les deux ans, en référence à celle attendue chez nos principaux partenaires commerciaux. Pour la période 2021 et 2022, cette marge salariale a été fixée à 0,4%, ce qui est insignifiant. Cette loi a pour corollaire qu'elle garantit l'indexation des salaires et les augmentations barémiques. La norme salariale et le maintien de l'indexation automatique sont les deux faces d'un compromis à la belge qui dure depuis 27 ans !
Certes, en 2022, nos salaires ont augmenté plus vite que dans les pays voisins. Mais notre "handicap salarial" – que la FEB évalue à 16% par rapport à la France, l'Allemagne et les Pays-Bas – est à nuancer car le calcul ne tient pas compte des subsides à l'emploi ni des gains de productivité ni de l'hétérogénéité du tissu productif. On peut d'ailleurs s'attendre à un rattrapage des salaires chez nos voisins, en raison des forces syndicales en présence.
Philippe Defeyt
EM : En période de forte inflation, l'indexation des salaires peut peser lourd dans les comptes des petites et moyennes entreprises. Comment peut-on les aider ?
PhD : Les organisations patronales proposent toute une série de formules pour réduire les coûts salariaux : imposer un saut d'index, rendre l'indexation progressive, la réserver aux "petits" salaires, etc. Ce ne sont pas de telles mesures qui vont aider les PME. Ce dont elles ont besoin, c'est de bénéficier d'aides et de mesures fiscales ciblées, comme des amortissements rapides sur des investissements réalisés pour faire des économies d'énergie.
EM : Certains disent qu'on pourrait réduire, voire supprimer l'indexation aux travailleurs qui ont de hauts salaires. Qu'en pensez-vous ?
PhD : Réserver l'indexation aux "petits" salaires ou la moduler au-delà d'un certain niveau de revenus, ce serait tout bénéfice pour les grandes entreprises et les secteurs qui ont engrangé d'énormes profits ces dernières années. Avec le risque, pour les hauts salaires justement, que la non-indexation soit rem placée par un accroissement des bonus et avantages extra-salariaux qui donnent lieu à moins de cotisations sociales et d'impôts. Sans comp ter que, sur le fond, il n'y a pas de raison d'exclure les salaires élevés du droit au maintien de leur pouvoir d'achat par l'indexation.
EM : Dans le secteur non marchand, les indexations salariales ne sont que partiellement ou tardivement couvertes par une augmentation des subventions publiques.
PhD : C'est exact et très problématique. L'indexation des salaires devrait être couplée dans le même temps à une indexation équivalente des subsides. On est loin du compte actuellement, ce qui met à mal des organisations et associations déjà particulièrement vulnérables sur le plan financier.