Jeunes

Génération hyper-connectée, jeunesse esseulée ?

Le mois de janvier est marqué par la journée mondiale des solitudes (23/01). S’il y a un groupe auquel on pense en à cette période, ce sont les personnes âgées. Moins évident : la solitude gagne aussi du terrain auprès d'une jeunesse paradoxalement omniprésente sur les réseaux sociaux.  

Publié le: 16 décembre 2024

Mis à jour le: 30 décembre 2024

Par: Soraya Soussi

6 min

Une jeune fille dans un canapé regarde avec ennui son téléphone.

Photo : ©AdobeStock - Les jeunes ne sont pas épargnés par la solitude, malgré leur omniprésence sur les réseaux sociaux.

"Je regarde constamment mes réseaux. Je crois que j'ai un peu la 'Fomo' ('Fear of missing out', la peur de rater un événement, NDLR)." Camille, étudiante de 23 ans est présente sur Facebook, Instagram, Snapchat, TikTok etc. Originaire de Marseille, elle est arrivée à Bruxelles il y a quelques mois pour suivre son copain. Seulement, ses amies et sa famille lui manquent. "J'ai beau avoir plein d'amis sur les réseaux, dans la vraie vie, ce sont mes proches dont j'ai besoin." 

"J'ai quelques ‘potes’ mais pas vraiment d'amis à qui me confier, partage de son côté Laura, 21 ans, étudiante à Louvain-la-Neuve Je suis plutôt solitaire, mais je manque d'un lien d'amitié fort, d’un ou une meilleure amie." 

Pour Célia, 33 ans, le sentiment d’isolement est venu avec la maternité : "J'étais la seule à devenir maman dans mon groupe d'amies. Les responsabilités parentales et mon état de fatigue n'allaient pas de pair avec une vie sociale active. Je ne me sentais pas comprise par mon entourage. Et avec le temps, je me suis beaucoup isolée." 

Camille, Laura et Célia ne sont pas une exception. Ce phénomène de solitude chez les jeunes tend à s’amplifier, selon plusieurs études belges et françaises. D'après une enquête de l’assureur NN et l’Université de Gand menée en 2018, 54 % de jeunes entre 20 et 34 ans se sentent seuls en Belgique. Toujours d'après cette enquête, les femmes seraient plus touchées. Le service d’écoute gratuit Télé-accueil (107) révèle que près de 20 % de leurs appels proviennent d'appelants âgés entre 18 et 39 ans. Au sein de cette tranche d’âge, les thèmes autour de la solitude (isolement, ennui, recherche de lien social, demande de conversation) représentent 23,8 % des appels. Sur le chat de l’association, l'âge du public recule encore (15 – 24 ans) constate le service d’accueil, qui observe aussi que cette tendance se renforce.  

Quand la connexion mène à l’isolement : comprendre un paradoxe moderne

Les causes du sentiment de solitude sont multiples et sa nature peut prendre diverses formes : (émotionnelle, sociale, contextuelle, intellectuelle, etc. Mais les scientifiques, qui s'attèlent à étudier ce phénomène grandissant auprès de la jeunesse, s'accordent à pointer le rôle que jouent les réseaux sociaux.  

"Paradoxalement, bien que les réseaux sociaux soient conçus pour favoriser les connexions, ils peuvent accentuer le sentiment de solitude lorsqu'ils remplacent les interactions physiques par des échanges superficiels ou passifs", développe Robin Wollast, chercheur en psychologie à l'UCLouvain.  

"Ce qui compte, ce n’est pas la quantité de vos connaissances, mais leur qualité", soutenait l’écrivain russe Léon Tolstoï. Une remarque valable pour les relations sociales. Aujourd’hui, avoir un maximum d'"amis" et de "followers" sur les réseaux sociaux est perçu comme un gage de "succès social". Du moins c'est ce que reflète la sphère médiatique. "Une amie est devenue influenceuse, parce qu'elle avait plus de 2.000 'followers'. Elle est contactée par des marques et gagne parfois de grosses sommes d'argent", confie Camille. Face à ces "success stories", certains jeunes n'ayant "que" 100 ou 200 amis développent un sentiment de solitude généré par l'idée que "plus on a d'amis, moins on est seul, alerte Sylvie Loumaye, psychologue sexologue et conférencière. Or, on peut très bien avoir un ou deux amis et se sentir comblé socialement." 

Laura n'a pas Instagram et n'est pas très "branchée réseaux sociaux". "J'ai un groupe de copines qui échangent beaucoup sur 'Insta'. Je me sens parfois totalement larguée quand on se voit parce qu'elles ne parlent que de vidéos TikTok ou d''Instagram Je me sens un peu exclue." Pourtant, créer un compte reste hors de question pour elle : elle refuse de devenir dépendante de son téléphone. Un choix qu’elle reconnaît parfois difficile à assumer face à ses pairs. 

La jeune femme avoue tout de même consommer beaucoup de vidéos sur YouTube. Sa génération est soumise à une multitude d'images sublimées qui ne reflètent pas la réalité, est-elle bien consciente.  Elle n’en demeure pas moins déstabilisée par ce monde virtuel idéalisé. "Ce sont des gens auxquels on aimerait ressembler, des lieux où on aimerait aller. Puis, on se regarde et on se trouve nulle. La plupart du temps, je suis gênée de moi-même."  

Pour Sylvie Loumaye, la surconsommation des réseaux sociaux est propice à nourrir ce manque de confiance en soi. "Les personnes qui ont très peu d'estime d’elle-même ont tendance à davantage s'isoler. Les jeunes devraient pouvoir prendre de la distance sur ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux et rester critiques." 

Solitude chez les jeunes : causes, impacts et clés pour mieux la cerner

Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls et uniques coupables de l’isolement des jeunes. Les raisons qui génèrent le sentiment de solitude chez un jeune ne seront pas les mêmes d’un individu à l’autre. Elles varient aussi en fonction de l’âge. 

L'adolescence est une période charnière, souvent liée à la quête d'acceptation sociale, à la recherche identitaire, etc. "C'est également une période propice aux ruptures familiales, aux bouleversement hormonaux, affectifs et relationnels. On est soit considéré comme un 'loser' (perdant), soit comme un 'winner' (gagnant)", développe Sylvie Loumaye, psychologue 

À la fin des études et à l'entrée dans la vie active, les jeunes adultes peuvent rencontrer des difficultés majeures dans leur vie : ruptures sentimentales, déménagements, routines ou habitudes bouleversées, pression et priorité au travail, etc. Autant de changements qui peuvent provoquer une perte de repères et du stress, terreaux favorables à la solitude. 

La solitude peut être bénéfique pour notre bien-être mental car elle permet de cultiver l'estime de soi en nous offrant des moments pour nous-même, nuance la psychologue. Mais lorsqu'elle est inconfortable et pérenne, il peut être utile de l'identifier et d'opérer une prise en charge, pour éviter le risque de développer une dépression, par exemple. Quel que soit l'âge, nous avons toutes et tous besoin d'être entourés par des êtres de confiance qui nous soutiennent et nous apprécient à notre juste valeur.