Seniors

Préparer sa retraite pour être apaisé

Le passage à la retraite est un cap important, qui change la vie de bien des manières. Énéo, mouvement social des ainés, conseille de ne pas attendre le jour J pour y penser et pour s’y préparer. En groupe, par exemple, lors des ateliers "Bien dans ma retraite". 

Publié le: 02 juin 2023

Mis à jour le: 26 septembre 2024

Par: Valentine De Muylder

7 min

Un groupe de retraités observe une étendue d'eau

Photo: © AdobeStock

"J’ai l’impression de revivre le confinement", confie Marc (prénom d'emprunt), récemment pensionné. Il était pourtant impatient de lever le pied après une vie professionnelle longue et très chargée. Mais que faire des heures qui s’étendent à présent devant lui ? Ou plutôt : par où commencer ?

Chacun, chacune a son histoire, sa personnalité, son contexte professionnel, ses habitudes de vie… et une transition n’est pas l’autre. Si le passage à la retraite n’est pas toujours une "crise", il n’en représente pas moins un bousculement important. "D’une manière ou d’une autre, c’est une reconfiguration de son existence, confirme Alievtina Hervy, qui coordonne le projet 'Bien dans ma retraite' au sein du secrétariat national d’Énéo. Pour certaines personnes, cela peut être assez brutal." 

Ce bousculement, cette reconfiguration se jouent à différents niveaux. En termes d’organisation du temps, d’abord, puisque les routines et repères changent : le quotidien n’est plus rythmé par le travail, les horaires se font plus souples, la distinction entre la semaine et le week-end s’estompe… Mais ce n’est pas tout, car le travail, ce sont aussi des contacts humains. "Personne n’a la nostalgie des procédures et du stress, raconte Anne (prénom d'emprunt), pensionnée depuis cinq ans. Ce qui manque, ce sont plutôt les collègues qu’on aimait bien…

Plus fondamentalement, en plus de nous rappeler que l’on ne rajeunit pas, la retraite bouleverse les repères identitaires. De nombreuses personnes investissent beaucoup d’énergie dans leur travail, voire se définissent au travers du métier qu’elles exercent, en particulier lorsqu’elles ont la chance de l’aimer ou d’en être fières. Lorsque la vie professionnelle s’arrête, ce sont donc bien souvent la perception que l’on a de soi et la place que l’on occupe dans la société et dans la famille qui évoluent. Ce qui implique un réajustement, en quête de nouvelles sources de sens et de reconnaissance.

Bien avant le jour J

"Pour vivre ce passage le mieux possible, cela vaut la peine de l’anticiper et de se préparer", conseille Alievtina Hervy. Dans une analyse basée sur une recherche menée auprès de personnes retraitées belges de tous milieux sociaux, sa collègue Hélène Eraly a identifié trois périodes clés : la préparation, la transition et le quotidien de la retraite, une fois le cap passé. "Il faut envisager la retraite non pas comme un événement qui survient de manière ponctuelle dans le parcours de vie, écrit-elle, mais comme un processus qui commence bien avant le jour J, et qui se poursuit bien après".

Se préparer, d’accord. Mais comment ? Cela dépend bien sûr d’une personne à l’autre. Cette préparation peut se limiter à une prise de conscience et à une réflexion personnelle. Elle peut aussi faire l’objet d’un accompagnement. Certains employeurs le proposent d’ailleurs à leur personnel. Anne en a fait l'expérience. "Nous avions la possibilité de participer à trois journées de préparation en dehors de notre lieu de travail habituel. Je les ai suivies un an avant de m’arrêter et j’en garde un très bon souvenir".

D’autres formules existent pour celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de bénéficier de ce type d’accompagnement dans le cadre de leur travail. Diverses associations proposent des ateliers de préparation à la retraite. C’est le cas d’Énéo, avec son projet "Bien dans ma retraite", ouvert à toutes et tous. "À travers des ateliers et animations, nous amenons les participants à se poser toute une série de questions et à faire une sorte de bilan personnel, explique Alievtina Hervy : ‘Je vais quitter le travail dans les deux ans à venir, ou l’année prochaine. De quoi ai-je besoin ? Qu’est-ce qui est important pour moi ?’"

Organiser son temps

Est-ce que je me vois m’investir davantage avec mes proches et ma famille ? Est-ce que j’identifie d’autres projets auxquels j’aimerais consacrer du temps ? "Certains investiront leur famille et leurs amis, d’autres préféreront avoir des loisirs intellectuels ou faire du volontariat. Certains choisiront également de continuer à mettre en œuvre les compétences acquises durant leur carrière professionnelle", constate Hélène Eraly dans son analyse. 

À l’issue des journées de préparation suivies dans le cadre professionnel, Anne n’a pas ressenti le besoin de prendre de décision concrète. "Mais j’ai démarré un cheminement", précise-t-elle.

L’idée est avant tout d’amorcer une réflexion, notamment sur la manière d’organiser son temps, pour éviter de se sentir seul ou désorienté. Alievtina Hervy, qui anime également des ateliers de préparation à la retraite auprès de professionnels de la Fédération des aides et soins à domicile (FASD), s’aperçoit que la peur de "perdre son utilité" revient souvent : "Ces personnes sont profondément dévouées à celles qu’elles aident. Avec le passage à la retraite, il peut y avoir une crainte de perdre cela". Une participante lui disait par exemple : "Canapé, Netflix… C’est sympa une journée, mais après ? Une semaine à ce régime-là et c’est la déprime".

Les ateliers "Bien dans ma retraite" portent également sur des choses pratiques. "D'un coup, la personne va passer du salaire à la pension de retraite, ce qui diminue ses revenus et parfois fameusement, poursuit la coordinatrice du projet. La situation n’est pas la même selon que la personne est locataire ou propriétaire. En atelier, nous rappelons la législation sur les pensions, et nous fournissons une série de contacts où obtenir des informations personnalisées".

Pour ne pas tomber des nues

Ensuite arrive le jour J, le jour où la personne quitte réellement son travail. "S’ensuit alors une période d’entre-deux, entre bonheur d’être libre (pour certains de partir en vacances), et angoisse du temps qui s’ouvre devant soi", écrit Hélène Eraly. Pour s’adapter, "certains choisissent de maintenir des contacts avec le monde professionnel (en y retournant de temps à autre, en téléphonant aux anciens collègues, etc.). D’autres mettent en place des nouveaux projets, comme un grand voyage, une formation, un loisir". 

Mais cette période de transition peut être difficile à vivre pour celles et ceux qui, comme Marc, ont franchi la ligne d’arrivée le nez dans le guidon, sans (pouvoir) s’y préparer. Heureusement, il n’est jamais trop tard pour se faire accompagner. Chez Énéo, on applique le principe "-2/+2" :  les ateliers "Bien dans ma retraite" s’adressent autant aux personnes qui souhaitent anticiper les choses - jusqu’à deux ans avant leur départ à la retraite - qu’à celles qui sont déjà pensionnées - jusqu’à deux ans après avoir franchi le cap.

Comme Anne, la plupart des personnes pensionnées se disent, après coup, que ce n’était pas si difficile que ça… Mais "ce qui ressort de tous les entretiens menés, conclut Hélène Eraly, c’est que se préparer à la retraite (comme à d’autres événements de la vie) favorise une transition apaisée. Cela ne signifie pas qu’il faille avoir décidé de toutes les activités ou de ses horaires, mais qu’il est bénéfique d’y penser progressivement depuis la fin de sa carrière et de mettre en place des choses que l’on valorise. Y penser, sans forcément tout programmer, c’est avant tout se préparer psychologiquement".