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À partir de 65 ans, la visite chez le dentiste est boudée par une personne sur deux. La situation est pire encore en maison de repos. Pourtant, prendre soin de sa bouche et de ses dents est capital à tout âge.
Publié le: 27 mars 2025
Par: Joëlle Delvaux
7 min
Photo: © AdobeStock//La bouche est la première porte d'entrée des microbes et infections.
Le faible recours aux soins dentaires chez les aînés est l'un des constats les plus marquants de la récente étude menée par le Service d’études de la MC sur l'utilisation des soins de ses affiliés âgés de 65 ans et plus. En 2023, à peine plus d’un senior sur deux a consulté un dentiste. Bien que ce taux progresse par rapport à 2016 (45 %), d’importantes disparités persistent. Ainsi, la visite chez le dentiste diminue fortement au fil des âges (moins de 30 % à partir de 85 ans). Elle est aussi moins fréquente en Wallonie et chez les personnes qui bénéficient de l'intervention majorée (BIM). Autre résultat interpellant : chez les 85 ans et plus, seulement 28 % ont consulté un dentiste quand ils bénéficient de soins infirmiers à domicile, mais 38 % quand ils n'en bénéficient pas. "Nos données confirment les constats faits dans de nombreux pays, commente Hervé Avalosse, chercheur à la MC. Plus les gens vieillissent, moins ils ont tendance à recourir aux soins dentaires. Il n'y a pourtant pas de raison de négliger sa dentition et sa bouche parce qu'on est plus âgé."
D'après la littérature, le coût est la principale raison invoquée par les seniors qui déclarent des besoins non satisfaits en soins dentaires. Pourtant, la majorité des soins préventifs et conservateurs en dentisterie sont bien remboursés par l'assurance obligatoire soins de santé (AO). Et pour les BIM, le ticket modérateur se limite souvent à quelques euros. De quoi lever les obstacles financiers aux soins dentaires de base.
Cependant, le faible taux de conventionnement des dentistes augmente le risque que des suppléments soient facturés. De plus, certains soins essentiels sont peu ou pas remboursés par l'AO pour les seniors. Ainsi, au-delà de 64 ans, le diagnostic de la maladie parodontale (indice de santé gingivale et parodontale, appelé DPSI) est la seule prestation remboursée en parodontologie. Parmi les seniors affiliés à la MC, un sur dix a bénéficié de ce diagnostic en 2023. C'est cinq fois plus qu'en 2016. Mais si un détartrage sous-gingival s'avère nécessaire, ce traitement - qui consiste à enlever le tartre en profondeur sous la gencive - n'est pas remboursé à partir de 65 ans. Or, c'est à cette période-là de la vie que les besoins se font le plus sentir, le risque de déchaussement des dents augmentant avec l'âge.
"La limitation d'âge au remboursement ne s'explique que pour des motifs financiers, regrette Denis Delvenne, dentiste-conseil à la MC. Il était prévu de dégager de l'argent dans le budget 2025 des soins de santé pour étendre le remboursement, mais cela a été reporté pour cause d’économies." Il est à noter que Dento + , l’assurance dentaire de la MC, indemnise entre autres à 100 % l’honoraire officiel du détartrage sous gingival chez les plus de 65 ans afin de compenser l’absence de remboursement de l’AO.
D. Delvenne
Les obstacles financiers ne sont pas les seuls en cause, loin de là. Dans un récent rapport, le Centre fédéral d'expertise en soins de santé (KCE) pointe le manque de sensibilisation à l’importance d’une bonne hygiène bucco-dentaire, pourtant essentielle pour la santé générale et la qualité de vie. La bouche est la première porte d'entrée des microbes et infections.
"Les personnes qui n'allaient pas régulièrement chez le dentiste ne vont pas tout à coup prendre cette habitude une fois pensionnées", évoque Denis Delvenne. Certaines n'en voient pas la nécessité. D'autres redoutent le diagnostic du dentiste par peur des soins. D'autres encore laissent tout simplement passer le temps, jusqu'au moment où elles devront consulter en urgence...
"Chez les personnes qui souffrent de gros problèmes de santé, les dents semblent passer au second plan des préoccupations", analysent également les chercheurs de la MC pour expliquer le faible recours aux soins dentaires chez les seniors. Pourtant, une mauvaise santé de la bouche et des dents aggrave nombre de pathologies telles que le diabète, les maladies cardiaques et respiratoires. Sans parler de l'impact négatif sur la nutrition, l'estime de soi, la qualité de vie… Le port d'une prothèse amovible n'est pas non plus un argument pour ne pas consulter le dentiste. Les gencives se modifient et peuvent déséquilibrer la prothèse. "Les professionnels de la santé, et en premier lieu le médecin généraliste, ont un rôle important à jouer pour sensibiliser leurs patients à l'hygiène bucco-dentaire et les encourager à visiter régulièrement le dentiste", plaide Rebekka Verniest, chercheuse.
Chez les personnes très âgées, la difficulté à se déplacer est incontestablement un frein important au recours aux soins dentaires. "Quand une personne peine à se déplacer et dépend de ses proches, on peut comprendre qu'elle ne fasse appel au dentiste que lorsque c'est vraiment nécessaire", admet le dentiste-conseil. La situation est encore plus compliquée en maison de repos. Même si l'une ou l'autre initiative existe, comme les unités dentaires mobiles, l’offre reste insuffisante. Les hygiénistes bucco-dentaires devraient pouvoir assurer ce rôle préventif, estime Denis Delvenne. Or les seules prestations remboursées pour les hygiénistes sont les détartrages et nettoyages prophylactiques réalisés en cabinet sous la responsabilité d'un dentiste.
"Grâce à la prévention, les nouvelles générations de personnes âgées ont globalement une meilleure santé bucco-dentaire", se réjouit le dentiste-conseil. Alors qu'il y a vingt ans, la quasi-totalité des résidents en maison de repos portaient des prothèses amovibles, de nos jours, la grande majorité conservent leur propre dentition. "La prévention doit être poursuivie en conséquence. Il faut que les personnes très âgées puissent conserver une bonne hygiène dentaire et voir régulièrement le dentiste. Sinon, tous les efforts accomplis auront été vains. Le défi est de taille."
Comment garantir à tous les aînés l'accès à des soins de qualité ? Pour contribuer à la réflexion, le service d'études de la MC a analysé les données de facturation de l'assurance obligatoire relatives à tous ses affiliés âgés de plus 65 ans, de 2016 à 2023. Focus sur quelques résultats.
• Le médecin généraliste, largement disponible
En moyenne, les seniors voient leur médecin généraliste neuf fois par an. Plus l'âge avance, plus les contacts sont nombreux, en particulier en maison de repos et de soins. Le généraliste prend le temps de se déplacer surtout chez ses patients très âgés et isolés. Mais la visite à domicile est en diminution constante depuis plusieurs années. Dans un contexte aggravé par la pénurie de soignants, les seniors âgés et isolés n'ont souvent pas d'autre choix que de faire appel à leurs proches pour se rendre au cabinet.
• Des soins infirmiers à domicile accessibles
En 2023, un senior sur cinq a bénéficié de soins à domicile, une proportion qui grimpe à un sur trois chez les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM). Plus l'âge avance, plus les soins deviennent réguliers. Ce dispositif, particulièrement utilisé en Flandre, favorise le maintien à domicile des seniors âgés. Il est aussi accessible financièrement grâce au très large conventionnement des infirmiers et infirmières.
• Une insuffisante couverture vaccinale contre la grippe
En 2023, 62 % des plus de 65 ans qui vivent chez eux ont été vaccinés contre la grippe. C'est davantage qu'avant la pandémie de coronavirus, mais la vaccination diminue quelque peu chez les BIM. Il existe aussi de grandes différences régionales : deux seniors sur trois se sont vaccinés en Flandre, contre moins d'un sur deux en Wallonie et à Bruxelles. Or, le vaccin protège contre les formes graves de la grippe et freine la transmission du virus. Il importe que les professionnels de la santé sensibilisent davantage leurs patients âgés.
• Trop de médicaments… potentiellement inappropriés
En 2023, 38 % des seniors prenaient au moins cinq médicaments différents sur une période longue, un phénomène plus marqué en Wallonie et chez les BIM. En outre, cette polymédication reste sous-estimée puisque les données ne prennent pas en compte les médicaments non remboursés comme les somnifères, certains antidouleurs...
Plus alarmant encore, plus de deux seniors sur trois se voient prescrire des médicaments qui ne sont peut-être pas le traitement le plus approprié. Cette proportion est nettement plus élevée (plus de quatre sur cinq) chez les résidents des maisons de repos et les seniors bénéficiant de soins infirmiers à domicile.
"Le recours aux soins des personnes âgées", K. Ackaert, H. Avalosse, R. Verniest, Service d’études MC, Santé & Société, avril 2025. À lire sur mc.be/sante-societe