Droits du patient
Les femmes n’ont pas les mêmes risques de maladies ni les mêmes chances de se faire soigner que les hommes. C’est ce que montre notamment une étude de la MC réalisée fin 2023.
Publié le: 20 octobre 2023
Par: Joëlle Delvaux
7 min
Photo: © Adobe Stock - Les explications biologiques ne permettent donc pas de rendre compte de l’ensemble des différences de santé selon le genre.
En Belgique, les femmes vivent en moyenne jusqu’à 84 ans et les hommes jusqu’à 79,2 ans (c’est le nombre moyen d’années qu’un enfant né en 2021 peut espérer vivre, si les taux de mortalité actuels restent inchangés dans les années à venir). Un réel avantage pour les femmes ? Pas si sûr. Leur espérance de vie dans un état de bonne santé (sans incapacité, sans maladie chronique ou en bonne santé ressentie) est quasi identique à celle des hommes : respectivement 64 et 63,6 ans en 2020, d'après le Bureau fédéral du Plan. Les femmes vivent donc en moyenne cinq années de maladie handicapante de plus que les hommes.
Les hommes sont plus souvent victimes de maladies graves et mortelles à un âge plus jeune : cancers, cirrhose du foie, infarctus, AVC… Les femmes, en revanche, souffrent davantage de maladies gênantes, voire handicapantes, mais moins dangereuses pour leur vie : rhumatismes, migraines, fibromyalgie, troubles de la thyroïde, arthrose… Davantage que les hommes, la maladie chronique les limite fortement dans leurs activités quotidiennes jusqu’à mettre en péril leur capacité de travailler. Les statistiques relatives à l’incapacité de travail de longue durée le confirment. En 2021, près de 15 % des salariées se trouvaient en invalidité contre 8 % chez les salariés. Le pourcentage a quasi doublé en dix ans chez les femmes. Charge mentale élevée, moindre sécurité au travail, maux de dos, burn-out, harcèlement, dépression etc., les facteurs explicatifs sont multiples.
"On explique souvent les différences de santé entre les sexes par des facteurs biologiques axés sur les dimensions génétiques, hormonales ou immunologiques, constate Svetlana Sholokhova,chercheuse au service d’études de la MC et auteure d’une vaste étude sur les biais de genre dans les soins de santé. Par exemple, les hommes et les femmes seraient prédisposés ou, au contraire, protégés contre certains types de maladies par leurs hormones. Certes, la longévité des femmes peut être partiellement expliquée par le niveau plus élevé d’oestrogènes. Mais avec la ménopause, ce niveau baisse, exposant les femmes à un risque accru d’ostéoporose - responsable de nombreuses fractures - et de maladies cardiovasculaires."
Les explications biologiques ne permettent donc pas de rendre compte de l’ensemble des différences de santé selon le genre. La réalité est bien plus complexe. On sait à quel point les conditions de travail, le niveau de revenus, la qualité du logement, la situation sociale exercent une influence directe sur l’état de santé. "Or, les femmes vivent plus souvent que les hommes dans la précarité et la pauvreté. Elles sont davantage victimes d’inégalités sociales et de discriminations – au travail notamment", pointe la chercheuse. Il n’est donc pas surprenant de constater que le report ou le non-recours aux soins pour des raisons financières est davantage vécu par les femmes. Cette réalité est plus prégnante encore chez les femmes nées hors de Belgique et surtout hors d’Europe.
Parmi les déterminants de la santé, le mode de vie n’est pas à négliger. Les données disponibles montrent que les hommes adoptent davantage de "comportements à risque" (hyperalcoolisation, tabagisme, drogues dures…), vivent plus dangereusement (conduite, sports extrêmes…) et meurent plus souvent violemment par accident. Comparativement, les femmes adoptent de meilleures habitudes alimentaires mais s’adonnent moins que les hommes à des activités physiques. Quant à l’obésité et au surpoids, la proportion est similaire chez les deux sexes.
La santé des femmes est aussi fortement affectée par les attentes sociales de la société à leur égard, pointe Aurore Kesch, présidente de Vie féminine. "Toutes générations confondues, elles font souvent passer leur propre santé après celle des personnes dont elles prennent soin jour après jour, que ce soit dans leur vie familiale ou professionnelle. La charge mentale qu’elles assument au quotidien et la répartition inégalitaire des tâches pèsent lourdement sur leur santé physique et mentale", dénonçait-elle en introduction de la semaine d’étude que le mouvement féministe consacrait à la santé, début juillet. Les femmes sont aussi victimes des injonctions liées au corps et à la perfection que la société leur envoie. Avec des effets délétères sur la santé mentale, comme on le lira par ailleurs. Troubles alimentaires et burn-out parental, par exemple, se conjuguent majoritairement au féminin.
"In fine, tout indique que sans la différence hormonale qui les protège davantage, les femmes auraient encore plus d’années de vie en mauvaise santé", conclut Élise Derroitte, directrice politique et études de la MC.
Loin de corriger ces inégalités, notre système de soins de santé les renforce, s’inquiète le service d’études de la MC. De nombreux obstacles empêchent les femmes d’accéder à des soins appropriés et de qualité. Et ils ne sont pas que financiers. Les stéréotypes liés au genre influencent la façon dont les professionnels de la santé dépistent et prennent en charge certains problèmes de santé chez les femmes. L’exemple le plus frappant concerne la douleur. À partir des mêmes symptômes, les hommes se voient plus fréquemment
prescrire des antidouleurs et les femmes des anxiolytiques C’est ce qu’a montré notamment une étude sur la médication donnée à des patients ayant subi un pontage coronarien, en 1990..
L’idée que les femmes exagèrent leurs douleurs ou que leurs plaintes témoignent d’un trouble psychologique reste prégnante dans le milieu médical. Par ailleurs, des maladies féminines comme l’endométriose (pathologie qui provoque des douleurs aiguës et des règles irrégulières, entre autres) sont mal diagnostiquées. Et des pathologies communes aux hommes, telles les maladies cardio-vasculaires, sont sous-diagnostiquées, en raison notamment de symptômes propres aux femmes, mal connus des médecins. Résultat ? Des traitements plus tardifs chez les femmes et un risque accru de mortalité, comme on le lira par ailleurs.
Souvent, les discriminations se cumulent et se renforcent mutuellement. On l’a vu, les femmes précarisées sont davantage en mauvaise santé et accèdent plus difficilement aux soins. De même pour les femmes d’origine étrangère. "Les discriminations et attitudes racistes ont des effets délétères sur leur santé, dénonçait le socio-économiste Rachid Bathoum lors de la semaine d’étude de Vie féminine. Pourtant bien documenté, ce problème de santé publique majeur est très peu pris en compte."
Le handicap constitue une autre source de discrimination. L’étude de la MC révèle, par exemple, que les femmes porteuses d’un handicap sont moins nombreuses à être dépistées du cancer du sein que les autres ! Une explication serait que les services hospitaliers sont difficilement accessibles aux personnes handicapées et les appareils de dépistage, pas adaptés. Autre hypothèse, la prise en charge de la personne est biaisée par la caractéristique particulière ou perception première qu’en a le corps médical. Dit autrement, devant une personne en situation de handicap, le soignant verrait surtout le handicap et oublierait la femme derrière.
Pour Svetlana Sholokhova, la source du problème provient de la construction même de la science médicale qui reste éminemment aux mains des hommes. L’expérience et le savoir féminins sont négligés. Les femmes ont longtemps été sous-représentées dans les études cliniques. Certaines spécialités médicales (souvent les plus lucratives...) restent majoritairement masculines. En outre, les femmes restent minoritaires dans les organes et lieux de décision (académies de médecine, hôpitaux, universités, etc.). Réduire les inégalités de genre en santé passe inévitablement par un renforcement de l’accès aux soins de santé pour les femmes. Et par une modification des rapports de domination qui imprègne la pratique médicale.